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Article - Quotidien RH

Abandon de poste : quelles évolutions ?

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Décembre 2024 : le Conseil d'État a tranché ! Après deux ans d'incertitudes et de recours en cascade, la présomption de démission pour abandon de poste est définitivement validée. Enfin ! Et ce n'est pas tout : les premières décisions des conseils de prud'hommes de 2025 dessinent enfin les contours précis de cette réforme qui a bouleversé la gestion RH.

Rappelez-vous les chiffres qui ont tout déclenché : 123 000 salariés qui abandonnaient leur poste au premier semestre 2022 selon une étude du Ministère du Travail relayée par la Monde, dont 43% ouvraient ensuite des droits au chômage ! Une "faille" du système que la loi du 21 décembre 2022 a voulu colmater en instaurant cette fameuse présomption de démission.

Aujourd'hui, le flou juridique, c'est terminé.

Fini le temps où vous naviguiez à vue entre jurisprudences contradictoires et contestations syndicales. Le Conseil d'État a précisé les règles, les premiers tribunaux ont rendu leurs verdicts, et vous disposez enfin d'un cadre stabilisé pour sécuriser vos pratiques.

Mais attention : si les règles sont désormais claires, elles sont aussi exigeantes ! Une procédure mal menée, un motif légitime mal apprécié, et c'est la requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse qui vous attend. L'heure n'est plus aux approximations, mais à la maîtrise parfaite de ces nouvelles obligations. Tour d'horizon des évolutions qui redéfinissent votre quotidien RH.

 

Comment on en est arrivés là : l'historique d'une réforme majeure

Pour comprendre l'ampleur du changement, il faut se replonger dans l'ancien système qui prévalait avant 2023. À l'époque, l'abandon de poste suivait une logique simple mais coûteuse : l'employeur devait engager une procédure de licenciement pour faute grave ou pour cause réelle et sérieuse. Résultat ? Le salarié licencié pouvait prétendre aux allocations chômage, créant ce que le gouvernement considérait comme une véritable "faille" du système.

La jurisprudence était alors constante : la démission ne se présumait pas. Surtout pas ! 

Il fallait une volonté claire et non équivoque du salarié de rompre le contrat. L'abandon de poste n'était jamais assimilé automatiquement à une démission, obligeant les employeurs à suivre une procédure longue avec entretien préalable, délais légaux, et versement d'indemnités selon la gravité de la faute.

Les chiffres de 2022 ont sonné l'alarme : 123 000 salariés ont abandonné leur poste au premier semestre, dont 116 000 en CDI. Plus préoccupant encore, 43% d'entre eux ouvraient ensuite un droit à l'assurance chômage, soit environ 50 000 personnes sur six mois seulement ! L'Unédic estimait à 82 000 le nombre total d'ouvertures de droits suite à un abandon de poste sur l'année 2022.

Face à cette situation, la loi du 21 décembre 2022 dite "Marché du travail" a instauré la présomption de démission pour les salariés en CDI qui abandonnent volontairement leur poste. Le décret d'application du 17 avril 2023 a précisé la procédure : mise en demeure par lettre recommandée, délai d'au moins 15 jours pour répondre, et présomption de démission en l'absence de justification.

Cette réforme n'est pas passée inaperçue ! Elle a fait couler beaucoup d’encre !

De nombreux syndicats ont contesté le dispositif, estimant qu'il faisait peser un risque accru sur les salariés et limitait leurs droits sociaux. Plusieurs recours ont été déposés devant le Conseil d'État, qui a finalement validé la réforme en décembre 2024, marquant la fin de deux années d'incertitude juridique.

 

2025 : l'année où tout se clarifie enfin !

Le 18 décembre 2024, le Conseil d'État a définitivement rejeté les recours syndicaux et validé le décret du 17 avril 2023. Mais cette décision va bien au-delà d'une simple validation : elle précise des exigences cruciales que vous devez absolument intégrer dans vos pratiques.

La grande nouveauté ? L'obligation d'information explicite. Le Conseil d'État a été catégorique : le salarié doit être informé explicitement des conséquences de l'absence de reprise du travail sans motif légitime. Concrètement, votre mise en demeure doit maintenant mentionner clairement la perte du contrat ET la perte du droit à l'assurance-chômage. Cette précision change tout dans la rédaction de vos courriers et de vos documents de fin de contrats !

Les premières décisions des conseils de prud'hommes confirment cette nouvelle donne. Le 25 avril 2024, le conseil de prud'hommes de Paris a validé la présomption de démission pour une salariée qui n'avait pas repris son poste après arrêt maladie, malgré deux mises en demeure. 

Le tribunal a estimé que la salariée avait manifesté clairement sa volonté de ne plus travailler : demandes de rupture conventionnelle, déménagement, nouvelle activité professionnelle... Autant de signaux qui ont pesé dans la décision.

Plus récemment, en février 2025, le conseil de prud'hommes de Lyon a confirmé cette tendance en retenant la présomption de démission pour un salarié qui n'avait ni justifié son absence ni repris son poste dans le délai imparti. Le message est clair : la procédure doit être strictement respectée, mais quand elle l'est, les tribunaux valident la présomption.

Pour vous, RH, cela signifie une simplification administrative considérable : exit les procédures de licenciement longues et coûteuses, place à une gestion plus rapide et sécurisée. Mais attention : cette simplification s'accompagne d'exigences de rigueur renforcées que la jurisprudence récente ne pardonne plus !

 

Les "nouvelles règles du jeu" que vous devez maîtriser 

Le cadre juridique 2025 de l'abandon de poste repose désormais sur des règles précises que vous devez appliquer à la lettre. Voici ce que vous devez absolument retenir pour sécuriser vos pratiques.

L'information obligatoire : le nouveau standard exigé par le Conseil d'État

Depuis décembre 2024, votre mise en demeure doit impérativement informer le salarié des conséquences de son absence injustifiée. Concrètement, vous devez mentionner explicitement deux éléments : la rupture du contrat de travail ET la perte du droit aux allocations chômage. Cette double information n'est plus optionnelle, c'est une obligation légale dont le non-respect peut invalider toute la procédure.

Le Conseil d'État a été très clair : "Le salarié doit être informé des conséquences pouvant résulter de l'absence de reprise du travail sauf motif légitime justifiant son absence." Cette formulation doit désormais figurer dans tous vos courriers de mise en demeure.

Le délai de 15 jours : calcul précis et pièges à éviter

L'article L1237-1-1 du Code du travail fixe un délai "d'au moins 15 jours" pour répondre à la mise en demeure. Attention au calcul ! Ce délai court à compter de la présentation de la lettre recommandée, pas de son envoi. Si le salarié ne retire pas son courrier, le délai commence à courir dès le premier avis de passage.

Les motifs légitimes : la liste actualisée selon la jurisprudence

La présomption de démission ne s'applique pas si le salarié justifie d'un motif légitime. La jurisprudence récente a précisé cette notion cruciale :

  • Motifs de santé : maladie empêchant la reprise du travail ou la communication avec l'employeur

  • Exercice de droits : droit de grève, droit de retrait pour danger grave et imminent

  • Manquements de l'employeur : modification unilatérale du contrat, non-paiement des salaires, harcèlement

  • Instructions illégales : refus d'exécuter une tâche contraire à la loi

👉 La clé ? Vérifiez systématiquement si l'absence peut s'expliquer par l'un de ces motifs avant d'engager la procédure. Une erreur d'appréciation vous expose à une requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La contestation devant les prud'hommes : ce qui marche (et ce qui ne marche plus)

Le salarié peut contester la présomption de démission devant le conseil de prud'hommes, qui doit statuer dans un délai d'un mois. Mais attention : les tribunaux appliquent désormais un contrôle strict de la procédure.

Ce qui fonctionne pour le salarié : prouver un motif légitime d'absence, démontrer un vice de procédure (information incomplète, délai insuffisant), ou établir un manquement de l'employeur à ses obligations. Ce qui ne fonctionne plus : invoquer la simple marge d'erreur technique ou contester le principe même de la présomption. 

 

Les erreurs qui coûtent cher en 2025

La jurisprudence récente le prouve : une procédure mal menée peut vous coûter très cher ! Analyse des nouvelles zones de risque à surveiller absolument.

Les nouveaux risques identifiés par la jurisprudence

La pratique révèle des zones grises dangereuses que vous devez absolument maîtriser. Premier piège : les salariés protégés. La présomption de démission ne dispense pas du respect des protections statutaires spécifiques (représentants du personnel, femmes enceintes, etc.). Une erreur sur ce point vous expose à des sanctions pénales !

Deuxième écueil : l'appréciation des motifs légitimes en cas de modification unilatérale du contrat. Si vous avez imposé un changement substantiel (horaires, lieu de travail, rémunération) et que le salarié n'a pas repris son poste, son absence peut être considérée comme justifiée. La jurisprudence récente montre que les tribunaux examinent de près le contexte précédant l'abandon.

Troisième risque émergent : les situations de harcèlement ou de souffrance au travail. Même sans signalement formel, si le salarié peut prouver a posteriori que son absence était liée à des conditions de travail dégradées, la présomption peut être écartée. 

Le coût de l'erreur : exemples chiffrés

Les sanctions financières sont lourdes ! En cas de requalification, vous devrez verser : les indemnités de licenciement (minimum 1/4 de mois de salaire par année d'ancienneté), les indemnités compensatrices de préavis (jusqu'à 3 mois de salaire selon l'ancienneté), et potentiellement des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (6 mois de salaire minimum pour un salarié de plus de 2 ans d'ancienneté).

🔎 Exemple concret : pour un salarié gagnant 3 000€ bruts mensuels avec 5 ans d'ancienneté, une requalification peut vous coûter plus de 30 000€ (indemnités légales + dommages-intérêts + frais de procédure).

Les signaux d'alerte à surveiller

Restez vigilant sur plusieurs indicateurs : un salarié qui multiplie les demandes de rupture conventionnelle avant son absence, des tensions récentes avec sa hiérarchie, des modifications récentes de ses conditions de travail, ou des signalements de mal-être professionnel. Ces éléments peuvent constituer autant de motifs légitimes d'absence que les tribunaux prendront en compte. 

La règle d'or ? En cas de doute sur la légitimité de l'absence, privilégiez toujours la procédure de licenciement classique plutôt que de risquer une requalification coûteuse !

Votre mode d'emploi 2025 pour une gestion sans faille 

Place à l'opérationnel ! Voici vos outils pratiques pour appliquer sereinement la réforme, mis à jour selon les dernières exigences jurisprudentielles.

Première étape essentielle : sécurisez vos vérifications préalables. Avant d'engager la procédure, vous devez systématiquement vérifier que le salarié est bien en CDI, que l'absence est volontaire et injustifiée, qu'aucun motif légitime apparent (maladie, grève, modification du contrat) ne l'explique, et que le salarié a été informé préalablement des règles de l'entreprise sur l'assiduité.

Une fois ces vérifications effectuées, votre mise en demeure doit respecter le nouveau standard imposé par le Conseil d'État.

 Concrètement, votre courrier doit impérativement contenir : 

  •  la constatation de l'absence injustifiée avec dates précises,

  •  la mise en demeure de justifier l'absence OU de reprendre le travail, 

  • l'information explicite sur les conséquences (rupture du contrat ET perte du droit au chômage),

  •  le délai d'au moins 15 jours pour répondre, 

  •  la mention que l'absence de réponse dans le délai imparti vaudra démission.

Parallèlement, affinez votre processus de vérification des motifs légitimes. Consultez systématiquement le dossier médical pour détecter d'éventuels arrêts maladie en cours, les déclarations d'accident du travail récentes, les courriers de réclamation ou signalements du salarié, ainsi que les modifications récentes du contrat ou des conditions de travail.

Enfin, ne négligez jamais la traçabilité ! Documentez chaque étape : preuve de l'envoi de la mise en demeure avec accusé de réception, calcul précis des délais, constat de l'absence de réponse dans le délai imparti, et décision motivée de rupture. Cette documentation sera votre protection en cas de contestation devant les prud'hommes.

Mieux vaut prévenir que guérir : en cas de signaux faibles (absences récurrentes, tensions, désengagement…), l’entretien de remotivation peut désamorcer les situations à risque. Utilisez notre trame structurée pour accompagner vos salariés en amont :

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Ce qu’il faut retenir

2025 marque un véritable tournant pour la gestion de l'abandon de poste. Après deux années de flou juridique et de tâtonnements, le cadre est enfin stabilisé grâce aux précisions du Conseil d'État et aux premières décisions des tribunaux. Vous disposez désormais d'un arsenal juridique clair pour traiter ces situations délicates.

Mais cette clarification s'accompagne d'une exigence de rigueur absolue ! Les approximations d'hier ne passent plus : information incomplète du salarié, mauvaise appréciation des motifs légitimes, ou négligence dans la procédure peuvent vous coûter très cher. La jurisprudence récente le prouve : les tribunaux appliquent désormais un contrôle strict qui ne pardonne aucun écart. Et heureusement, vous êtes habitués à cette rigueur !

L'heure est donc venue d'auditer vos procédures actuelles et de former vos équipes aux nouvelles exigences. Mettez à jour vos templates de mise en demeure, renforcez vos vérifications préalables, et systématisez votre traçabilité. Ces quelques ajustements vous permettront de transformer cette contrainte légale en véritable avantage opérationnel.

 

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