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Article - Gouvernance

Devoir de vigilance des entreprises : de quoi parle-t-on ?

femme devant son ordinateur RSE

L’ABC des RH

Les fondamentaux des ressources humaines expliqués de A à Z

La loi sur le devoir de vigilance, entrée en vigueur en France en 2017, constitue une avancée majeure en matière de responsabilité des grandes entreprises. 

Elle oblige les sociétés mères à s’assurer que ni elles, ni leurs filiales, ni leurs partenaires commerciaux ne causent de dommages graves aux droits humains ou à l’environnement. Pourquoi une telle loi et quelles entreprises sont concernées ? On vous explique tout ! 

 

Quelle est l’origine de cette obligation ? 

La loi française sur le devoir de vigilance trouve son origine dans plusieurs scandales internationaux, et notamment celui du Rana Plaza, au Bangladesh. En 2013, l’effondrement d’un immeuble abritant plusieurs ateliers de confection textile cause la mort de plus de 1 100 personnes et blesse des milliers d’autres. Ces ateliers produisaient des vêtements pour de grandes marques internationales dans des conditions de travail déplorables et sans respect des normes de sécurité.

Ce drame met alors en lumière les failles dans les chaînes d’approvisionnement mondialisées et l’impossibilité de tenir juridiquement responsables les entreprises donneuses d’ordre situées à des milliers de kilomètres.

La France est le premier pays à légiférer sur le sujet en adoptant en mars 2017 la loi 2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre

Cette loi engage la responsabilité des très grandes entreprises françaises, au-delà de leurs propres opérations, en les obligeant à surveiller et encadrer les pratiques de leurs filiales, fournisseurs et sous-traitants. Elle est codifiée à l’article L225-102-1 du code de commerce. 

Elle vise à remettre le respect des droits humains et environnementaux au cœur des préoccupations des grandes entreprises et multinationales. 

 

Quelles sont les entreprises concernées ? 

La loi vise les très grandes entreprises françaises, selon des seuils d’effectifs précis. 

Sont concernées : 

  • Les sociétés ayant au moins 5 000 salariés en France en leur sein et dans leurs filiales directes ou indirectes ;
  • Ou ayant au moins 10 000 salariés dans le monde.

Ce seuil restreint le champ d'application direct à environ 200 entreprises en France. Mais en pratique, des milliers d'autres entreprises sont indirectement concernées, car elles sont fournisseurs ou sous-traitants de ces grands groupes, qui doivent leur imposer des critères de conformité et des audits.

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Quelles obligations concrètes pour les entreprises ? 

Le devoir de vigilance oblige les entreprises concernées à élaborer et à mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance annuel destiné à identifier et prévenir les atteintes graves :

  • Aux droits humains et libertés fondamentales (travail des enfants, discrimination, conditions de travail abusives, respect des droits syndicaux etc.),
  • À la santé et sécurité des personnes,
  • À l’environnement (pollution, déforestation, etc.).

Le plan de vigilance doit contenir :

  1. Une cartographie des risques avec un recensement et une hiérarchisation des risques identifiés ;
  2. Des procédures d’évaluation régulière des partenaires (filiales, fournisseurs, sous-traitants) ;
  3. Des actions adaptées de prévention et d’atténuation des risques identifiés ;
  4. Un mécanisme d’alerte interne ou externe, pour signaler des risques ou violations ;
  5. Un dispositif de suivi de la mise en œuvre des mesures prévues.

Le plan doit être publié chaque année, intégré au rapport de gestion, et rendu accessible au public.

Des entreprises comme TotalEnergies, Danone, ou LVMH publient leur plan de vigilance dans leur document d'enregistrement universel (DEU), souvent disponible dans la rubrique "Investisseurs" ou "Responsabilité sociétale" de leur site web.

 

Quels risques juridiques en cas de manquement ? 

D’un point de vue juridique, une action en responsabilité peut être engagée sur la base du devoir de vigilance à l’initiative de toute personne ayant un intérêt à agir, par exemple un syndicat de travailleur, une association, une ONG ou une collectivité locale

En cas de non rédaction du plan de vigilance ou de manquement dans sa mise en œuvre effective, l’entreprise doit au préalable être mise en demeure de se conformer à ses obligations. 

Ce n’est qu’en cas d’inaction ou de réponses considérées comme insuffisantes dans un délai de 3 mois que le tribunal judiciaire peut être saisi, exposant l’entreprise à des sanctions pour se mettre en conformité sous peine d’astreinte. 

La Poste a ainsi été la première entreprise condamnée par le tribunal judiciaire de Paris le 5 décembre 2023, pour manquement à son devoir de vigilance. 

Cette décision faisait suite à une assignation en justice par le syndicat Sud PTT, qui dénonçait l'emploi de travailleurs sans papiers par des sous-traitants de La Poste. Le tribunal a estimé que le plan de vigilance de l’entreprise était insuffisant avec notamment une cartographie des risques jugée trop imprécise, des procédures d’évaluations des sous-traitants considérées comme inadéquates et l’absence d’un mécanisme d’alerte efficace. La Poste a donc été enjointe de compléter et de renforcer son plan de vigilance pour mieux prévenir de tels manquements à l'avenir. Aucune sanction financière n’a cependant été prononcée (La Poste a tout de même fait appel de cette condamnation en 1ère instance, l’audience devant la Cour d’appel est prévue le 17 juin 2025). 

D’autres affaires sont également en cours concernant par exemple TotalEnergies qui est accusée par plusieurs ONG de ne pas aligner ses activités avec les objectifs de l'Accord de Paris, notamment en poursuivant des projets d'exploration pétrolière en Afrique ou encore EDF poursuivie pour un projet éolien au Mexique, les plaignants invoquant un manque de consultation des communautés autochtones concernées. 

En cas de dommages reconnus, les entreprises s’exposent alors à des dommages et intérêts à verser aux victimes

Devant la complexité de ces affaires souvent transnationales, une Cour spéciale sur le devoir de vigilance a été créée au sein de la Cour d’appel de Paris par décret en septembre 2023. Cette chambre spécialisée est désormais la seule à pouvoir statuer en appel sur toutes les affaires civiles liées au devoir de vigilance. 

 

Et demain ? 

Même si seuls les très grands groupes sont aujourd’hui légalement contraints, le devoir de vigilance revêt progressivement une ampleur de plus en plus importante. Suite à la France, d’autres pays comme l’Allemagne ont adopté des textes similaires et au niveau européen, une directive sur le sujet a été adoptée en mai 2024 (directive CSDD- Corporate sustainability due diligence) qui viendra élargir le champ des entreprises concernées dans les prochaines années. 

Les entreprises, grandes ou petites, ont donc tout intérêt à intégrer la vigilance dans leur gouvernance et leur politique RSE, en sécurisant leurs partenariats et relations fournisseurs, et en s’assurant de politiques sociales et environnementales respectueuses au-delà de leurs seules frontières juridiques. L’enjeu n’est pas seulement juridique, c’est aussi l’image, la réputation et l’attractivité de l’entreprise qui en dépend.

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Rédactrice

Forte d'une solide formation juridique en droit social, j'ai exercé pendant plus de 15 ans en tant que responsable des relations sociales dans…

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