Melting work
Les inspirations et les modèles dénichés partout dans le monde
Depuis les travaux d’Abraham Maslow, nous savons que le besoin d’estime, qui inclut la reconnaissance, est l’un des besoins fondamentaux des humains. Pourtant, 60 % des salariés français considèrent que leur travail n’est pas suffisamment reconnu. 44 % des salariés affirment avoir déjà démissionné en raison d’un manque de reconnaissance. Les conséquences vont bien plus loin : baisse de motivation, anxiété, dépression, burn-out, absentéisme, turnover… La liste est bien trop longue.
Alors comment agir concrètement, sur le terrain, pour inverser la vapeur ? La réponse ne se trouve pas dans les Happiness Managers, les corbeilles de fruits ou les Escape Games. Mais plutôt dans un vrai système, pragmatique et mesurable. Grâce à son programme Connected Recognition, l’entreprise informatique américaine CISCO a fait exploser le taux d’engagement de ses collaborateurs, et constaté une nette amélioration de la cohésion d’équipe. Parmi d’autres bénéfices, bien tangibles.
Le “merci” comme pilier d’un système
Pas d’employé du mois, ni de discours de fin d’année. Chez Cisco, la reconnaissance est une infrastructure. Avec Connected Recognition, chaque collaborateur peut remercier un pair, spontanément, sans validation managériale, ni justificatif. Un projet réussi ? Un coup de main inattendu ? Une idée brillante ? Cela mérite bien plus qu’un pouce en l’air. Cisco l’a compris et l’a inscrit dans sa culture.
Cela peut paraître anecdotique, mais le système est redoutablement bien pensé : des récompenses symboliques ou monétaires (de 25 à 250 dollars), attribuées très souvent, de manière à en faire un rituel. En cinq ans, plus d’un million de reconnaissances ont été échangées. La puissance de ce programme réside aussi dans son horizontalité : la récompense ne vient pas forcément du haut en bas. C’est un vrai réseau interne de gratitude qui a été créé. Et probablement le meilleur investissement managérial que Cisco ait jamais fait.
Le retour sur reconnaissance
Il y a des programmes RH qui brillent sur les slides, puis s’éteignent dès qu’on ferme PowerPoint. Mais Connected Recognition a résisté à l’épreuve du terrain. Sûrement parce qu’il touche quelque chose de plus profond que l’engagement ou la fidélité : le besoin de compter pour quelqu’un. Chez Cisco, la reconnaissance se prouve par les actes, et les moyens suivent : le programme est financé à hauteur de 1% de la masse salariale et a permis la distribution de plus de 1,2 millions de récompenses en cinq ans. 90 % des salariés de Cisco ont reçu au moins une reconnaissance.
Et côté résultats ? Les taux d'engagement mesurés en interne dépassent régulièrement 80 à 85%, soit bien au-dessus de la moyenne du secteur. Mais aussi, un recul du turnover, une meilleure fidélisation, une cohésion renforcée, une performance accrue… Dire “merci” (beaucoup et souvent) est puissant. Mais ce n’est pas tout. Le programme est piloté par la donnée : elle permet d’identifier où la culture du “merci” circule mal, et d’y remédier.
La reconnaissance ne se dit pas pareil partout
En France, trop féliciter, c’est plutôt suspect. Dire “merci” reste un acte codé, à manier avec précaution. Sans doute parce qu’on confond encore reconnaissance et faveur, gratitude et faiblesse. Mais c’est avant tout une question d’héritage culturel. Les travaux de Geert Hofstede, chercheur en management interculturel, montrent que la culture française repose sur une forte distance hiérarchique, une aversion au flou et une reconnaissance valorisant davantage les statuts que les échanges entre pairs. Autrement dit : on aime que la reconnaissance vienne “d’en haut”, pour des mérites clairs et dans un cadre formel. Philippe d’Iribarne, chercheur au CNRS et anthropologue, parle d’une “logique d’honneur” : on ne reconnaît pas seulement un bon travail, mais la légitimité de celui qui l’a accompli. Féliciter trop vite peut être perçu comme de la flatterie, voire une tentative de manipulation.
Mais ce formalisme a un prix : il peut freiner l’engagement et décourager les gestes simples qui soudent une équipe. Là où Cisco a su ritualiser un merci désintéressé, beaucoup d’entreprises françaises l’enferment encore dans des codes implicites. Sans copier un modèle anglo-saxon, peut-on au moins reconnaître que, dans un pays où la reconnaissance est à ce point codifiée, il est temps d’en faire un sujet ? Et peut-être recréer une reconnaissance à la française : explicite, sincère et structurante.

Exploratrice RH
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Melting work
Bienvenue à bord de la chronique qui vous emmène dans les coulisses des entreprises d’ailleurs, là où les cultures se mélangent, innovent et inspirent. Venez explorer les pratiques de travail qui font bouger les lignes à travers le monde. Sans jargon et avec les éclairages des experts en management interculturel, vous découvrirez le travail sous un jour nouveau. Attention au décollage ; gardez la ceinture attachée durant notre voyage car vos certitudes risquent d’être bousculées !