Mythes de bureau
Quand nos idées reçues sur le travail ont la vie dure
Les troubles psychologiques sont devenus la première cause d'arrêt longue durée en France. Face à cette urgence, les pouvoirs publics ont fait de la santé mentale la grande cause nationale de 2025. Un signal fort qui laisse penser que parler de sa santé mentale au travail est enfin devenu acceptable. Mais la réalité est bien plus contrastée.
L'illusion d'une parole enfin libre
48 % des salariés souffrent de détresse psychologique, 34 % se déclarent en burn-out et 58 % des jeunes employés se disent épuisés. Les managers sont particulièrement touchés, avec 52 % d'entre eux en détresse psychologique. Un tableau particulièrement inquiétant.
Si inquiétant que les médias et réseaux sociaux se sont emparés du sujet, faisant de la santé mentale une thématique tristement récurrente. Burn-out, dépression, anxiété... ces mots circulent désormais librement sur le web et ailleurs. Les témoignages de cadres épuisés se multiplient sur LinkedIn, les podcasts sur le bien-être au travail explosent, les magazines spécialisés consacrent des dossiers entiers à la santé mentale.
Cette visibilité laisse penser que les barrières tombent enfin. Que parler de ses difficultés psychologiques au bureau n'est plus un aveu de faiblesse mais un acte responsable. Que les employeurs et managers sont désormais disposés à entendre, comprendre, voire épauler leurs salariés en souffrance.
Comment passer des mots aux actes ?
Pourtant, entre les discours bienveillants et la réalité quotidienne, l'écart reste béant. Car si la santé mentale fait la une des magazines, les préjugés, eux, résistent dans les couloirs d'entreprise.
"Il manque de caractère", "elle ne tient pas la pression", "ils sont fragiles ces jeunes"... Autant de réflexions qui révèlent la persistance d'idées reçues. En effet, beaucoup de personnes associent encore les troubles psychiques à une faiblesse personnelle plutôt qu'à une véritable maladie. L'idée qu'un collaborateur “dépressif" soit moins performant, moins engagé et moins fiable perdure. Certains managers craignent qu'aborder le sujet ouvre une "boîte de Pandore" et deviennent des psychologues.
Ces stéréotypes collent à la peau et empoisonnent les perspectives d’évolution des salariés concernés autant que les relations de travail. Et pour cause. Ceux qui osent parler de leur mal-être rapportent des réactions mitigées : bienveillance de façade mais mise à l'écart progressive des projets stratégiques, encouragements verbaux mais surcharge de travail maintenue, écoute compatissante mais aucun ajustement organisationnel concret. Le résultat ? L'isolement guette ceux qui "portent l'étiquette", creusant paradoxalement leur détresse.
Alors comment créer un véritable cadre de sécurité psychologique pour libérer la parole ?
D'abord en éduquant massivement sur la santé mentale, avec l'intervention d'experts reconnus pour démystifier le sujet et ses enjeux. C’est indispensable. Les entreprises doivent former leurs managers à détecter les signaux faibles et à réagir de manière appropriée. Au niveau RH, cela implique de créer des conditions favorables pour qu’enfin les salariés puissent parler de leur état de santé, sans craindre d’être jugés et mis de côté : cellule d’écoute, référent santé mentale... Mais ce n’est pas tout.
Il est aussi vital de repenser l'organisation du travail, les charges et les objectifs professionnels. Car, rappelons-le, certaines situations de mal-être trouvent leur source dans le travail lui-même (surcharge, harcèlement, micro-management). Plusieurs entreprises montrent la voie. Chez AXA, 340 collaborateurs se sont formés aux "gestes qui sauvent" des vies psychiques, avec pour objectif de former 95 % des collaborateurs aux bases du bien-être d'ici la fin d’année. D'autres comme Microsoft France ont instauré des "Mental Health First Aid" dans chaque équipe.
Finalement, parler de santé mentale au travail reste un exercice d'équilibriste entre l'expression sincère d'un mal-être et la préservation de son avenir professionnel. Une réalité qui évoluera quand nous accepterons enfin que prendre soin de sa tête relève autant de la santé que soigner sa jambe cassée.

Experte juridique & RH
Ancienne juriste et RH, Sonia n’a jamais tourné le dos à l’entreprise… même si son rêve était d’écrire des scénarios pour le cinéma. Aujourd’hui…
Mythes de bureau
Préjugés, idées reçues, on-dit : le lieu où l’on travaille est un théâtre de « vérités » qui influencent nos manières de travailler et de vivre ensemble. Mais rien n’est tout blanc ou tout noir. Mythes de bureau apporte de la nuance là où il n’y en a pas toujours. Une manière de prendre de la hauteur sur nos comportements et nos croyances.