L’interview tech et innovation
Questions - réponses pour comprendre l’actualité de la technologie, de l’intelligence artificielle et de l’innovation
Experte en systèmes d’informations, Muriel Garnier est membre du conseil d’administration du Laboratoire de l’Egalité dont elle pilote la commission IA. Sa carrière, débutée dans les années 70, s’est déroulée dans des cabinets de conseil en stratégie et management des systèmes d'information et des grands groupes, de l’Oréal à Areva. Aujourd’hui elle estime que pour éviter une nouvelle fracture, il est urgent que les femmes s'approprient les technologies omniprésentes de l’intelligence artificielle.
Que retenez-vous de votre carrière professionnelle sur la place des femmes dans l’informatique et l’IA ?
J’aime dire que je me sens un peu comme une dinosaure femelle de l'informatique. De mes études à l’Université Paris Dauphine, parcours MIAGE, à la fin de ma carrière chez Areva (devenu Orano en 2018, NDLR), j'ai vu, au fil des décennies, la présence des femmes en informatique décliner, passant de près de 40 % dans les années 70-80 à une marginalisation progressive à partir des années 90.
Pourquoi cette diminution du nombre de femmes dans la tech ?
C’est le résultat de plusieurs facteurs. L’essor de l’ordinateur personnel et des jeux vidéo dans les années 90 ont fortement attiré un public masculin. Parallèlement, les jeunes filles ont été de plus en plus orientées vers des filières comme le marketing ou la finance. De plus, on a souvent présenté l'informatique de manière très technique, alors qu'il faudrait insister sur son impact concret, ce qui attire davantage les femmes.
C'est ce constat qui vous a amenée au Laboratoire de l'Égalité ?
Exactement. J'ai rejoint l'association fondée en 2010 par Olga Trostiansky et Corinne Hirsch. Dans ce Laboratoire de l’Égalité ns et combattons les inégalités professionnelles entre femmes et hommes. Nous réunissons des experts et expertes, réalisons des états des lieux chiffrés et proposons des actions concrètes aux entreprises et aux institutions.
Comment le sujet de l'IA a-t-il été pris en compte ?
En 2017, nous avons été auditionnés par Cédric Villani dans le cadre de son rapport sur l'IA. Nous avons alors alerté sur les biais présents dans les algorithmes et bases de données. Cela a donné lieu en 2019 à la publication de notre livre L'intelligence artificielle, pas sans elles, puis, en 2020, à un pacte de l'égalité qui propose des actions concrètes aux entreprises, aux écoles, aux chercheurs et aux médias.
Quelles difficultés pointez-vous ?
La principale difficulté, c'est le manque de mesures et de suivi des engagements. Nous avons publié en 2020 un pacte pour une IA égalitaire, organisé le Mois de l'IA en 2021, réalisé une enquête qualitative en 2023, partagé un guide de bonnes pratiques… Mais les choses ont finalement peu évolué et beaucoup d'entreprises nous disent manquer de moyens ou de volonté politique pour véritablement promouvoir la mixité.
Quelles sont vos perspectives ?
Nous voulons changer le narratif autour de l'IA. Trop souvent, on met en avant ses risques. Nous pensons qu'il faut surtout inciter les femmes à s'emparer de ces outils à partir des usages, montrer les apports et les utilisations de l’IA, en particulier les IA génératives. Nous avons rencontré des jeunes femmes qui ont créé des entreprises dans les secteurs de la santé, du luxe, de l’agriculture ou de la communication, qui utilisent l'IA générative et partagent leurs savoir-faire.
Craignez-vous que l'IA creuse encore plus les inégalités femmes - hommes ?
Oui, et c'est pourquoi il est urgent que les femmes s'approprient ces technologies. Sinon, nous allons voir apparaître une nouvelle fracture. L'IA est déjà omniprésente, elle façonne le travail de demain. Il faut donc agir dès maintenant en formant les jeunes filles et en intégrant plus de femmes dans la recherche et le développement de ces technologies.
Y a-t-il des collaborations que vous souhaiteriez développer ?
Nous travaillons avec des associations comme Women in AI, le Cercle InterElles et la French Tech. Nous aimerions aussi renforcer nos liens avec le monde de la recherche. Il faut acculturer tous les publics et donc travailler de manière pluridisciplinaire. L'IA est une révolution sociétale majeure qu’il faut arrêter de voir comme une affaire d'hommes. Les femmes ont un rôle essentiel à jouer. C'est maintenant qu'il faut agir car on ne mesure pas encore toutes les conséquences géopolitiques de cette révolution.

Journaliste
Journaliste de presse écrite et animatrice de conférences, Valérie Ravinet s’intéresse aux sujets sociétaux aux croisement de la connaissance, de la…