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Article - Rémunération

« Le salaire est la seule vraie motivation », une idée reçue à la vie dure

Employé au bureau comptant des billets, symbole du salaire comme moteur de motivation

Mythes de bureau

Quand nos idées reçues sur le travail ont la vie dure

L'argent comme unique carburant de nos journées de travail : voilà une idée reçue qui a la vie dure. Tellement ancrée qu'elle semble indiscutable. Mais cette évidence résiste-t-elle à l'épreuve des faits ? Pas vraiment.

Quand l'argent devient roi

Soyons honnêtes : quand votre patron vous annonce une augmentation, vous ne boudez pas votre plaisir. Quand un chasseur de têtes vous appelle avec un package à +30%, vous tendez l'oreille. C’est un fait, l’argent motive. Cette évidence est devenue le pilier de la plupart des stratégies RH. Comment l’expliquer ?

L'histoire nous donne quelques indices. À l'époque industrielle, l'équation était limpide : un ouvrier donnait son temps et sa force de travail contre un salaire. Pas question d'épanouissement personnel ou de quête de sens ; l'usine avait besoin de bras, les familles avaient besoin d'argent. Cette logique transactionnelle s'est implantée si profondément qu'elle continue d'irriguer nos représentations du travail, même dans des métiers qui n'ont plus rien à voir avec la chaîne de montage.

Les crises économiques successives ont renforcé cette vision. Quand l'emploi se raréfie, quand les fins de mois deviennent difficiles, la sécurité financière prend le dessus sur tout le reste. Normal. Sauf que cette période est devenue la norme. Pour les managers aussi, cette approche présente un avantage indéniable : sa simplicité. Face à une équipe démotivée, il est infiniment plus facile de négocier une enveloppe budgétaire que de creuser les vraies causes du malaise. Diagnostiquer pourquoi Julien traîne les pieds ou pourquoi Sarah a perdu sa flamme, demande du temps, de l'écoute, et parfois une remise en question de l'organisation. Proposer une prime, c'est plus rapide.

Sans compter que le salaire est la seule motivation qu'on sache mesurer avec précision. En effet, comment quantifier le sentiment d'être reconnu ? Comment mettre un chiffre sur l'autonomie ou le sens du travail ? Face à cette difficulté, nous nous rabattons sur ce qui se compte : les euros sur la fiche de paie. Comme si la valeur d'un job se résumait à ce qu'il rapporte, et non à ce qu'il apporte.

Ces ressorts invisibles de la motivation

Si l'argent était vraiment le seul moteur, comment expliquer que 66% des salariés français érigent désormais comme priorité d’avoir un meilleur équilibre de vie, loin devant la garantie d’un salaire confortable ? Comment comprendre ces démissions qui laissent les managers perplexes : "Mais enfin, il était bien payé !" ?

La psychologie de la motivation nous éclaire sur ce paradoxe. Dans les années 70, les chercheurs Edward Deci et Richard Ryan ont identifié deux types de motivation fondamentalement différents. La motivation extrinsèque, celle qui vient de l'extérieur : salaire, primes, avantages en nature. Et la motivation intrinsèque, cette énergie qui naît de l'intérieur : le plaisir de maîtriser son métier, l'autonomie dans ses décisions, le sentiment que son travail a du sens.

Leurs recherches révèlent un phénomène troublant : les récompenses externes peuvent en réalité diminuer la motivation naturelle. C'est ce qu'ils appellent l'effet de "surjustification". Quand on réduit systématiquement l'engagement au travail à une question d'argent, on finit par tuer les autres sources de motivation. L'employé qui trouvait du plaisir à résoudre des problèmes complexes ne voit plus que sa fiche de paie. Et le jour où celle-ci ne suffit plus, il n'a plus rien d'autre pour le porter.

Ce mécanisme explique ces histoires qu'on entend de plus en plus : des consultants qui quittent leur cabinet prestigieux pour monter leur micro-entreprise, des cadres qui troquent leur bureau parisien contre un poste d'enseignant en province, des commerciaux qui deviennent artisans. Pas par masochisme financier, mais parce qu'ils ont retrouvé ce que l'argent seul ne peut pas acheter : la fierté du travail bien fait, la liberté de décider, l'impression de contribuer à quelque chose qui les dépasse.

On ne va pas se mentir, le salaire compte, bien entendu. Il sécurise, il permet de se projeter, il reconnaît la valeur du travail accompli. Mais réduire la motivation à cette seule dimension, c'est passer à côté de ces leviers invisibles qui transforment une corvée en passion, un job en vocation. C'est ignorer ces entreprises qui fidélisent davantage avec du télétravail, des espaces de bien-être ou des programmes de santé mentale qu'avec des augmentations.

Et peut-être, finalement, c'est se priver des collaborateurs qui transforment vraiment une entreprise : ceux qui s'investissent par conviction, pas (seulement) par contrainte. 
 

Experte juridique & RH

Ancienne juriste et RH, Sonia n’a jamais tourné le dos à l’entreprise… même si son rêve était d’écrire des scénarios pour le cinéma. Aujourd’hui…

Mythes de bureau

Préjugés, idées reçues, on-dit : le lieu où l’on travaille est un théâtre de « vérités » qui influencent nos manières de travailler et de vivre ensemble. Mais rien n’est tout blanc ou tout noir. Mythes de bureau apporte de la nuance là où il n’y en a pas toujours. Une manière de prendre de la hauteur sur nos comportements et nos croyances.

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