L’interview tech et innovation
Questions - réponses pour comprendre l’actualité de la technologie, de l’intelligence artificielle et de l’innovation
Dédiée aux projets d’amélioration des conditions de travail via des actions sur l'organisation du travail et les relations sociales, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) s’intéresse depuis longtemps aux transitions numériques. Pour le chef de projet Vincent Mandinaud, la clé du débat réside dans la réappropriation collective de ces transformations technologiques et organisationnelles. Et dans une refonte du dialogue social, trop souvent absent des décisions numériques. Explications.
Pourquoi l’ANACT s’est-elle saisie du sujet de l’intelligence artificielle ?
L’IA est une nouvelle forme d’un sujet déjà vieux pour nous. Depuis sa création, l’ANACT observe les effets des transformations technologiques sur le travail. L’intelligence artificielle, et particulièrement ses formes récentes – génératives, apprenantes – cristallise des enjeux forts pour les qualités de vie et de conditions de travail : nature et sens de l’activité, cohésion des collectifs de travail, identité et parcours professionnel, productivité et reconnaissance, risques psychosociaux, etc.
Quel est le rôle du dialogue social dans cette transformation ?
Il est fondamental. Les technologies ne s’intègrent pas seules : elles s’inscrivent dans des organisations. Or, on observe souvent un retard ou une absence de dialogue social sur ces enjeux. Le risque, c’est que les projets d’IA soient pilotés de manière « technocentrée », sans débat sur le travail réel, ou la réalité des conditions d’exercice de l’activité, et de ses conséquences. Avec, à la clé, des outils parfois mal adaptés, acceptés, utilisés et des conditions de travail pas nécessairement améliorées.
Avez-vous développé des méthodes pour intégrer des IA utiles ?
Nous avons travaillé à définir des points de vigilance autour de six axes : l’utilité (à qui et quoi sert cette IA), l’accessibilité (qui est en mesure d’en disposer), l’utilisabilité (est-elle facile à utiliser), la discutabilité (peut-on en parler, en débattre), l’intelligibilité (comprend-on son fonctionnement) et l’adaptabilité (est-elle adaptable aux populations et aux contextes de travail). Ces points forment une grille pour ouvrir le dialogue social avec les salariés, les représentants du personnel et les directions. L’idée n’est pas d’être pour ou contre l’IA, mais d’avoir les moyens de nourrir un dialogue éclairé et constructif sur les conditions et conséquences de son usage.
Voyez-vous une rupture spécifique avec l’arrivée des IA génératives ?
Oui, sur deux plans : d’abord par la facilité d’usage, qui désamorce les résistances naturelles, ensuite par l’opacité des systèmes eux-mêmes. Quand une machine « apprend » sans que même ses concepteurs puissent tout à fait expliquer comment elle parvient à des résultats, cela complexifie fortement le débat social sur son usage. Il devient difficile de contester, de corriger et d’assumer.
L’IA bouleverse-t-elle profondément les collectifs de travail ?
Absolument. Elle ne se contente pas de remplacer ou d’augmenter des tâches : elle reconfigure les relations entre humains et machines, mais aussi entre humains eux-mêmes. On voit se déployer une anthropomorphisation des IA qui masque leur inscription dans des chaînes économiques, politiques et matérielles bien concrètes. L’individualisation de la relation au travail s’accentue, et avec elle, un affaiblissement des capacités collectives de coopération et de critique.
Comment voyez-vous la suite ?
Il faut renforcer la littératie sur l’IA afin qu’employeurs et salariés aient une culture commune suffisante pour en parler et démystifier le sujet. Cela suppose bien entendu de former les acteurs du dialogue social à ces enjeux, de renforcer une culture du dialogue, mais aussi d’être en mesure de partir des réalités du travail pour ouvrir la boîte noire technologique et organisationnelle.
Aller plus loin : https://www.anact.fr/10-questions-sur-la-maitrise-des-transformations-numeriques https://www.anact.fr/accord-europeen-sur-la-transformation-numerique-des-entreprises-pour-un-dialogue-social |

Journaliste
Journaliste de presse écrite et animatrice de conférences, Valérie Ravinet s’intéresse aux sujets sociétaux aux croisement de la connaissance, de la…