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Article - Intelligence artificielle

" Avec l'IA on peut construire un dialogue social à la hauteur des enjeux  "

Photocollage du portrait de Odile Chagny sur fond bleu interview tech inno eurécia média (Économiste à l'IRES)

L’interview tech et innovation

Questions - réponses pour comprendre l’actualité de la technologie, de l’intelligence artificielle et de l’innovation

Économiste à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), Odile Chagny pilote le projet Dial-IA, une démarche destinée à outiller les acteurs sociaux face aux transformations engendrées par l’intelligence artificielle. Objectif : créer une grammaire commune et profiter de cette révolution pour rénover le dialogue social dans les organisations.

Vous travaillez depuis plusieurs années sur l’impact du numérique sur le dialogue social, objet de vos recherches. Comment l’IRES s’est-il emparé du sujet ?

L’IRES n’est pas un laboratoire, mais une association. C’est le centre d’études au service des organisations syndicales représentatives en France, qui existe aussi au niveau européen. Sa gouvernance est syndicale – la CFDT, la CGT, la CFE-CGC, FO, la CFTC et l’UNSA sont les parties prenantes. Depuis une dizaine d’années, une équipe mène à l’IRES des travaux collaboratifs, prospectifs et participatifs sur la transformation numérique du travail et sur les modalités de dialogue social qui peuvent accompagner ces mutations.

Le projet Dial-IA s’inscrit-il dans cette démarche ?

Dial-IA est dans la continuité de cette démarche. Après un premier programme européen sur la confiance dans l’IA par le dialogue, nous avons lancé Dial-IA – pour Dialoguer sur l’IA – avec le soutien de l’ANACT. Il s’agit d’un projet intersyndical piloté par la CGT, la CFDT, CFE-CGC et FO Cadres, ouvert à d'autres partenaires comme Solidaires Finances Publiques ou la CFTC-Médias. Du côté patronal, l’UNAPL et le Syntec Numérique ont également participé à ces travaux, qui ont réuni, pendant 18 mois, 80 participants actifs, issus d’univers très divers : administration centrale, entreprises, banques, ESN, énergie, etc.  

Concrètement, qu’avez-vous mis en place ?

Le projet s’est déroulé en deux temps. La première étape a été de créer une "grammaire commune" pour permettre à toutes les parties prenantes – représentants du personnel, RH, directions – de comprendre ce qu’est l’IA, ses spécificités, ses impacts. Nous avons organisé une série de webinaires thématiques avec des experts, pour permettre une montée en compétences collective. C’est une conviction forte de notre part : on ne peut pas dialoguer efficacement sans comprendre ce qu’on a en face. Et l’IA n’est pas une technologie comme les autres, en particulier dans sa version probabiliste, où l’incertitude est inhérente au système.

Et la seconde phase ?

Elle a consisté à construire ensemble un référentiel de dialogue social sur l’IA. En nous appuyant sur l’accord cadre européen de 2020, nous avons mené des ateliers de design thinking pour coconstruire des outils concrets. Ce travail a abouti au site Dial-IA, qui propose deux volets : une partie acculturation (qu’est-ce qu’un projet IA, comment est-il développé, qui intervient, quelles méthodes comme DevOps...), et une partie "outils opérationnels" pour structurer un dialogue social intératif, étape par étape.

À qui s’adressent ces outils ?

À tous ceux qui sont impliqués dans le dialogue social. Ils permettent aux représentants du personnel de poser les bonnes questions, de faire appel à un expert, d’identifier les impacts, de documenter les projets. Nous avons aussi proposé un registre des systèmes d’IA, inspiré du RGPD mais adapté aux enjeux IA, pour rendre visibles les projets en cours.

Quel accueil a reçu votre démarche ?

Le projet a été présenté au Ministère du travail et au Sommet mondial pour l’action sur l’IA, et cité comme bonne pratique. Dans les faits, le déploiement reste complexe. Certaines entreprises s’emparent des outils – AXA a signé un accord de concertation fin 2024, par exemple. Mais on est au début du chemin. Les directions ont souvent du mal à reconnaître que les projets IA relèvent du cadre légal d’information-consultation. Il faudra du contentieux, probablement. Et un gros effort d’acculturation.

Vous avez lancé des formations ?

Chaque organisation syndicale développe ses propres actions. Nous, à l’IRES, nous animons la dynamique intersyndicale. Certaines formations sont portées par des cabinets certifiés, d’autres par des instituts du travail. En parallèle, nous avons relancé nos webinaires. Le 30 juin 2025, nous avons organisé une mise à jour sur les avancées de l’IA, notamment les systèmes par renforcement. C’est aussi l’occasion d’échanger entre militants, directions, chercheurs. L’idée est de maintenir une culture commune vivante, d’identifier les difficultés et de partager les solutions.

Quel est, selon vous, le principal enjeu du dialogue social sur l’IA ?

Il ne s’agit pas simplement de discuter des effets sur l’emploi. Il s’agit de comprendre comment l’IA transforme le travail, les processus, les responsabilités, la chaîne de décision. L’objectif de Dial-IA, c’est de fournir aux acteurs du dialogue social les moyens d’agir, et non de subir. Il faut sortir d’une logique top-down, encore trop dominante, et instaurer un dialogue continu, à toutes les étapes des projets. C’est une rupture avec les pratiques classiques du dialogue social en France. L’opportunité est là, les syndicats sont prêts. Reste à faire évoluer les pratiques, dans un esprit de co-construction. L’IA peut être une opportunité, si on s’en donne les moyens collectivement.

 

Propos recueillis par Valérie Ravinet

 

 

 

Journaliste

Journaliste et autrice, Valérie explore les grands sujets de société à la croisée des sciences, de l’économie et du vivant. Numérique, intelligence…

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