35h et des poussettes
Le monde des parents qui tentent de maintenir l’équilibre entre carrière et parentalité
Au bureau, les anecdotes sur les enfants virent parfois à la compétition larvée : entre fierté et doutes, comment éviter que le récit de leurs 'exploits' se transforment en comparaisons inutiles et délétères ?
Ou l’art de s’auto-flageller
Je me souviens de ce que j’ai ressenti ce jour-là comme si c’était hier. Cette matinée ressemblait à toutes les autres. Je dépose mon manteau, j’allume la machine à café. Avec mon associée, on se livre à notre activité préférée pendant que le café coule : on parle de nos enfants avant de parler de nos clients. Sa fille a 9 mois d’écart avec mon fils. Ce sont nos premiers enfants.
Elle m’annonce qu’elle vient de l’inscrire à la gymnastique. Désormais, elle ou son mari l’accompagnera chaque samedi. Elle a trouvé un cours qui accepte les enfants dès deux ans. Elle est ravie, sa fille aussi.
Je vais être honnête : en premier lieu, je n’ai pas été ravie pour elles. J'ai d'abord pensé à moi et je me suis dit : je suis une mère minable qui n’a pas pensé qu’à deux ans son fils pouvait faire une activité extra-scolaire. Pire : l’idée de l’inscrire quelque part et de l’y emmener toutes les semaines me donne des bouffées d’angoisse. Je sors à peine d’une dépression post-partum, je commence enfin à trouver mes marques dans ce nouveau quotidien de mère et j’appréhende terriblement l’idée qu’une charge mentale supplémentaire puisse tout faire vaciller.
Ce qui vient de se passer, à cet instant précis, c’est que je viens de me comparer. Ou plutôt, de comparer nos enfants. L’une va à la gym, l’autre non. Dès notre entrée à l’école, la société nous incite à nous comparer. Je me souviens de mes propres bulletins scolaires et de la case, juste à côté de la note, dans laquelle était inscrite mon classement. Très tôt, on prend l’autoroute de la comparaison et quand on a des enfants, c'est pire.
Comparer ses enfants à la machine à café
Croire que cette comparaison insidieuse, la pire de toutes, qui s’infiltre partout, de nos repas de famille à nos sorties entre amis, s’arrêterait aux portes de nos vies professionnelles est une erreur. Au détour d’une réunion, devant une machine à café, dans un ascenseur, on se met toujours à parler de nos enfants. Inlassablement.
Il suffit de dire que son bébé n’a pas dormi pour entendre Marie, 58 ans, raconter que sa fille a fait sa première nuit à trois jours il y a presque 30 ans. Il suffit de dire qu’on a fait le choix de l’assistante maternelle pour que la comptable, à qui l’on n’a jamais parlé, explique que la crèche a eu un effet formidable sur la sociabilité de son bébé. Il suffit de dire que son fils de 19 ans a choisi de faire une année sabbatique dans une ferme au Pérou pour que Karim annonce que sa fille vient de réussir le concours de Sciences Po Paris.
Personne n’est à blâmer. Il y a peut-être parfois une histoire de ton à adopter. Mais c’est souvent avant tout une histoire de perception. Ou plutôt : de réception de l’information. Dans ce monde qui tourne autour des classements et des médailles, il y a un domaine dans lequel nous ne sommes jamais évalués : la parentalité. Pas d’entretien annuel, pas de grille, pas de notes. Se comparer aux autres nous permet alors de nous situer. Et au passage, de nous auto-flageller.
Et si on choisissait l’inspiration ?
Aucune statistique ne dit combien de fois les collaborateurs et collaboratrices d’une entreprise parlent de leurs enfants dans une seule journée. Il n’existe pas non plus d’études qui expliquent combien comparer ses enfants au travail est une mauvaise idée. Néanmoins, le sujet mériterait d’être creusé.
Je n’ai pas de solution pour réussir à s’extraire vraiment de ce mécanisme. Ne plus parler de ses enfants au travail ? On passe plus de temps avec ses collègues qu’avec ses proches. Alors taire complètement la vie de ses enfants au quotidien semble compliqué. Je crois qu’il serait plus facile de commencer à conscientiser les effets délétères de la comparaison… Et laisser le temps faire son affaire. J’y pense depuis des années, et, récemment, lorsqu’une cliente a évoqué devant moi les plateaux-repas qu’elle fait avec son fils chaque vendredi soir devant un film, je ne me suis pas sentie nulle. Au contraire, j’ai pensé « quelle bonne idée ». Depuis, je fais pareil avec le mien chaque vendredi.
J’ai donc décidé de changer de direction et de bifurquer vers une autre autoroute : celle de l’inspiration.

Rédactrice
Elle pensait qu’avoir un enfant ne changerait pas grand-chose à sa vie. Cinq ans plus tard, après deux grossesses et quelques kilos de charge mentale…
35h et des poussettes
Si comme moi vous jonglez entre réunions et changements de couches, rejoignez-nous pour des discussions franches, des astuces pratiques et une bonne dose d'humour. Si vous négociez des contrats tout en faisant les devoirs ou en préparant des biberons, cette chronique est faite pour vous ! Plongez avec moi dans le grand bain de la parentalité où carrière et famille se disputent la vedette.