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Article - Santé sécurité au travail

Prendre soin de soi et des autres : le défi du travail face à la maladie

La soirée événement d’Eurécia Média propose d’explorer les défis et opportunités du monde professionnel

Vivement lundi !

Au Campus Eurécia, un événement qui réunit professionnels et experts pour explorer les transformations du monde du travail

Il y a encore quelques années, le soin, le « care » que l’on apporte aux autres au travail n’aurait pas fait l’objet d’une table ronde en public. C’était un sujet de l’ordre de l’intime, peu visible dans le champ des conversations professionnelles. Mais – good news – les choses évoluent parfois positivement, et Eurecia Média se positionne en tête en tête de file pour mettre les sujets sur la table. 

Lundi 8 décembre, la quatrième édition de Vivement lundi ! a donné la parole à Amélie Aeschbacher et Martine Cathala, toutes les deux confrontées à la maladie d’un enfant et à la situation d’aidantes. Florence Lamoulie, chargée de développement social chez Malakoff Humanis, et Claire Priquet, psychologue sociale du travail et consultante, les ont rejointes pour apporter de l’analyse et partager des bonnes pratiques sur comment aider un collègue en souffrance. 

Objectif : faire en sorte que les drames de la vie ne soient plus tabous au travail. C’est aussi simple à écrire que difficile à mettre en œuvre.  

L’impossible conciliation travail / maladie

L’histoire d’Amélie Aeschbacher est poignante, et sa manière d’en parler l’est tout autant. Avec recul, et beaucoup de douceur, cette Toulousaine raconte son parcours professionnel sans accroc de commerciale dans de grandes enseignes de l’agro-alimentaire. Une carrière satisfaisante, riche socialement, qui aurait pu l’emmener loin. Mais « je suis tombée enceinte de mon premier enfant, puis assez rapidement du deuxième. J’ai arrêté de travailler pour m’occuper d’eux, et là, la nouvelle est arrivée : mon tout petit, encore nourrisson, est diagnostiqué d’un cancer du cerveau ». Amélie et son mari vont accompagner leur fils, Léo, pendant une année de traitements lourds (des chimio et radiothérapies qui ont lieu à Paris). « Impossible de combiner une carrière avec un parcours pareil », d’autant que l’aîné n’avait qu’un an et demi. Léo décède en mai 2024.  
Quand Amélie s’est remise en quête de travail, elle a décidé d’expliquer aux recruteurs que « le trou sur son CV » était lié à cet accompagnement. Elle indique dans sa lettre de motivation que son enfant est décédé. Mais en entretien, le pire scénario se produit : « Le recruteur n’avait pas lu ma lettre de motivation, il me demande ce que je ferais si mon enfant fait une rechute. Il n’y a pas de bonne réponse à cette question. La fin de l’entretien ne s’est pas bien passée et je n’ai pas été prise ». Cette expérience conduit Amélie à renoncer au salariat et à se former pour devenir coach professionnelle, spécialisée dans l’accompagnement au retour au travail des personnes qui ont dû s’absenter pendant longtemps. « Avant je faisais de la négo, du business. J’ai côtoyé des métiers tellement essentiels pendant le parcours de soin de mon fils (des oncologues, des chirurgiens…) que je me suis dit : ‘mais à quoi je sers ?’ J’avais perdu le sens de mon travail. Puis, je me suis dit que mon expérience pouvait être mise au service des autres. » Marquée par la maladie grave de son bébé,  Amélie Aeschbacher a transformé cette épreuve en engagement professionnel. Elle s’apprête à lancer une activité de coach en réintégration professionnelle. Elle va accompagner les entreprises dans la réintégration des salariés après un congé long. 
(L’intégralité de l’histoire d’Amélie est à retrouver en vidéo ici )

Le tabou de l’aidance

Selon une étude de l’Ocirp, seulement 29% des aidant.es interrogé.es ont informé leur employeur de leur situation. Martine Cathala fait partie des 71% qui ne l’ont pas fait : quand elle était au travail dans son emploi de secrétaire médicale, elle « laissait les problèmes au vestiaire ». Et auprès de son enfant malade, elle cachait qu’elle était épuisée. Aujourd’hui, cela fait 23 ans que la fondatrice des « Rencontres entre aidants » accompagne sa fille, qui a été diagnostiquée de troubles sévères du comportement. Martine a dû passer à mi-temps, puis a arrêté de travailler. « Je ne connaissais pas le terme d’aidant. J’étais une maman, je m’occupais de mon enfant, c’est tout. Mais au fil du temps, il fallait que je trouve des ressources, que je sache réagir au moment des crises, que je sache gérer psychiquement. Je me suis formée, j’ai été aidée par des associations. » Un des aspects les plus difficiles de cette situation : « On ne peut en parler : ni au travail, ni à la maison. Au travail on veut se montrer fort, et face à la personne aidée, il faut dire que tout va bien, car elle culpabilise déjà beaucoup. » Martine évoque une « charge mentale et émotionnelle énorme », mais aussi de la colère et de la peur : « Qui aidera mon enfant quand je ne serai plus là ? ». C’est pour discuter entre personnes dans la même situation qu’elle a créé les « Rencontres entre aidants », un groupe de parole mensuel, qui favorise les échanges d’expériences et d’informations entre parents, conjoints et enfants confrontés à la dépendance ou la maladie.

La fragilité au travail : une évolution des mentalités ?

Pour Claire Priquet, psychologue sociale du travail et consultante, si les chiffres concernant la détresse psychologique des salarié.es sont très variables (« entre 7% et 30% selon les études »), il y a une urgence réelle, de prise en compte par les recruteurs et DRH. « La santé mentale des salariés est devenu un sujet brûlant pour eux », assure-t-elle, rappelant qu’ « en 2030, un individu sur quatre sera aidant, et contrairement à ce que l’on imagine, ce n’est pas un sujet qui concerne uniquement les seniors, car il existe des aidants très jeunes ». Avec des conséquences concrètes : « désengagement au travail, troubles de la santé, du sommeil… ».  Florence Lamoulie, chargée de développement social chez Malakoff Humanis, constate une évolution des mentalités depuis le Covid : « Le confinement a permis de rentrer dans la vie des salarié-es, notamment avec le développement des visios. Une frontière s’est cassée et on a intégré que le monde personnel pouvait avoir un impact sur le monde professionnel. C’est devenu légitime de demander ‘comment ça va ?’ à un ou une salariée ». Néanmoins, les personnes concernées parlent peu . « Quand on est aidant, il y a la peur d’être stigmatisé et aussi d’être freiné dans sa progression professionnelle. Cela a pour conséquence que de nombreux salariés se privent de l’aide qu’ils pourraient avoir dans leur entreprise. » Si Florence Lamoulie comprend que les salarié-es ne souhaitent pas parler de ce qui leur arrive, pour des raisons légitimes, elle met néanmoins en garde : "le non-dit est sujet à interprétation, il peut créer des quiproquos et une mauvaise ambiance, surtout si les collègues ont une charge de travail supplémentaire en raison d’un arrêt de travail. Il faut ouvrir le dialogue".

L’art et la manière « d’aider » un aidant

Les aidants ou les personnes qui ont vécu la maladie l’ont tous connu : ces collègues gêné.es qui ne savent pas comment aborder le sujet. Entre silence total et maladresses répétées, comment trouver le ton juste quand on se soucie d’un ou d’une collègue ? Claire Priquet constate : « Il y a ceux qui se sentent tellement mal à l’aise qu’ils préfèrent ne pas aborder le sujet ; à l’inverse il y a ceux qui font une projection sur eux-mêmes et racontent en détails toute leur expérience : ‘j’ai eu un cancer moi aussi, alors je vais te dire comment ça se passe’ ». Le mieux est encore de dire : ‘Je suis mal pour toi, je suis maladroit-e, je ne sais pas quoi te dire’. Le premier levier serait de sensibiliser les entreprises, ajoute la psychologue, avec a minima une formation aux premiers secours en santé mentale.  
Florence Lamoulie abonde : « L’entreprise est garante de la santé physique et mentale des salarié-es, mais les manageurs sont démunis car peu formé.es. Il faut leur donner des clés, des outils ». Claire Priquet propose la technique des « questions fermées » : « Le ou la manageur peut demander ’Est-ce qu’il se passe quelque chose de compliqué dans ta vie en ce moment ?’ et si la réponse est oui, on ne demande pas de détails, mais simplement  ‘est-ce qu’ici, au travail, on peut faire quelque chose pour toi ?’. Cela permet de respecter l’intimité mais de ne pas éluder le sujet ». 
Pour Amélie Aeschbacher, une maladresse sera toujours préférable à un silence : « même si on ne répond pas de suite, on préfère que quelqu’un nous adresse une pensée, plutôt que rien du tout. Le silence, c’est terrible. »  Autre conseil de Florence Lamoulie pour les collègues de l’aidant.e ou de la personne malade : « envoyer un message qui n’attend pas de réponse, qui ne rajoute pas une charge mentale à la personne qui le reçoit. Un simple ‘je pense à toi’ peut suffire ».

Les compétences acquises et le retour au travail

Comme le dit Amélie Aeschbacher, ce « trou sur le CV », « ce n’était pas pour un voyage aux Caraïbes !». Lors de son parcours d’aidante auprès de son bébé, elle a développé des compétences valorisables dans le monde du travail : « résilience, organisation, apprentissage rapide du vocabulaire médical, savoir-faire et savoir-être ». Martine Cathala ajoute : « On devient expert de la maladie, on apprend très vite ». Pour Florence Lamoulie, les DRH et manageurs doivent valoriser ces nouvelles compétences et faire confiance aux salarié.es : « accompagnez-les, ils et elles le rendront au centuple ».

Ainsi la question du retour au travail est un enjeu majeur. Premier cliché à déconstruire pour l’ensemble des invitées : « Il faut qu’il/elle se plonge dans le travail, ça va lui faire du bien ». Pour Amélie, une reprise progressive du travail est indispensable. Une reprise à 100% et sans transition peut entraîner « rechute et dépression ». Claire Priquet rappelle également qu’un entretien avec le manageur est systématique, pour savoir ce que souhaite le ou la salariée de retour. « Ni placardisation, ni surexposition » insiste la psychologue. Florence Lamoulie explique qu’il y a également des gestes simples à mettre en place pour faciliter la vie de tout le monde : « par exemple, si un salarié revient au travail après un cancer de la prostate, veillez à ce que son bureau soit proche des toilettes, facilitez-lui la vie, sinon il ne va pas rester. Moins c’est tabou, plus c’est simple ».
 

Les cinq conseils à retenir 
  • Amélie Aeschbacher : communiquer, lever les tabous
  • Martine Cathala : être attentif aux autres, à leurs comportements
  • Claire Priquet : apprendre à aider, se former
  • Florence Lamoulie : respecter le temps de l’autre


Ressources :

OCDE / panorama de la santé en France en 2025

Baromètre de Santé publique France sur la santé mentale  

Aidance, enjeu majeur du monde du travail / France Travail 

 

Article : Sophie Arutunian, édité par Séverine Martin 
 

 

 

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La soirée événement d’Eurécia Média propose d’explorer les défis et opportunités du monde professionnel. Parce que le futur du travail se construit à plusieurs, Vivement lundi ! vise à apprendre, analyser et inventer ensemble.

 

 

 

Journaliste

Sophie Arutunian est journaliste depuis 2009, intervenant en radio, presse écrite, web et interview vidéo. Rédactrice de contenus pour le web et l’…

Vivement lundi !

L'événement, en direct et en public, propose d’explorer les défis et les opportunités du monde professionnel. Parce que le futur du travail se construit à plusieurs, ce moment partagé invite à réfléchir ensemble à un sujet qui nous concerne tous et toutes. Témoignages, échanges d'expériences et pistes de solutions : un rendez-vous trimestriel pour renouveler notre regard sur le travail et en finir avec l'appréhension du lundi.

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