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Article - Intelligence artificielle

ERIOS Assistant : le CHU de Montpellier développe sa propre IA

David Morquin regarde face caméra

ITW tech & inno

Questions - réponses pour comprendre l’actualité de la technologie, de l’intelligence artificielle et de l’innovation

Le professeur David Morquin est médecin infectiologue et directeur médical Gouvernance des données & Stratégie IA au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Montpellier. Il pilote le projet ERIOS – Espace de Recherche et d’Intégration des Outils numériques en Santé – qui a donné naissance à ERIOS Assistant, une IA générative « maison ». Récit d’un projet conçu dans les murs du CHU pour une IA interne à l’hôpital.

Vous êtes infectiologue de formation. Quel chemin vous mène à l’IA à l’hôpital ?

Mon activité de praticien hospitalier a longtemps mêlé réanimation, médecine interne et maladies infectieuses. À partir des années 2010, j’ai commencé à travailler sur les systèmes d’information et analysé l’impact de l’informatisation sur nos métiers, sur le raisonnement médical ou encore l’organisation des soins. Aujourd’hui, je garde une activité en consultation et sur des dossiers complexes mais j’ai recentré une grande partie de mon temps sur l’intégration de l’IA à l’hôpital, afin de construire un dispositif intra hospitalier à partir des données de santé.

L’intelligence artificielle en médecine ne date pas d’hier. Qu’est-ce qui a fait basculer votre regard ?

C’est très clairement l’avènement des IA génératives, ces modèles capables de manier le langage naturel. L’analyse d’images et de signaux a beaucoup progressé, mais le jour où l’on peut écrire, résumer, traduire et adapter un même contenu au bon destinataire, la pratique change. La médecine consiste à raconter des histoires complexes : reconstituer un fil, hiérarchiser des faits, préciser les incertitudes, transmettre avec exactitude. Pouvoir s’appuyer sur un outil qui comprend le contexte et reformule avec précision ouvre des possibilités très concrètes.

Qu’êtes-vous en train de construire avec le projet ERIOS ?

ERIOS, pour Espace de Recherche et d’Intégration des Outils numériques en Santé, est un laboratoire d’expérimentation. Il a été conçu dans le cadre d’un appel à projet France 2030, et lancé en décembre 2022 sur des composants très concrets de création du dossier patient informatisé, en codesign avec les utilisateurs., en impliquant l’Université de Montpellier et l’éditeur de logiciels Dedalus. Une dizaine de cas d’usage ont été définis, comme la prescription et le suivi de l'isolement thérapeutique en psychiatrie ou le développement d’un tableau de bord pour aider les médecins à décider de continuer ou non une antibiothérapie. C’est un véritable changement dans les pratiques, puisque l’outil vient en appui du raisonnement des professionnels soignants, leur permet de gagner du temps et d’anticiper les actions futures.

Vous développez aussi un assistant conversationnel interne, baptisé Erios assistant ? À quelles fins ?

Erios assistant est une IA conversationnelle qui permet le traitement de données médicales confidentielles, à partir des notes saisies par les différents professionnels ou lors de la captation des voix, par exemple en consultation ou en staff. L’assistant a la capacité de la transcrire, de structurer les informations, de croiser des éléments du dossier du patient ou encore de proposer des formulaires de sorties adaptées ; un compte rendu lisible, une version destinée au patient, un brouillon de courrier, et ce dans toutes les langues… Le même outil peut proposer une aide au raisonnement, repérer des incohérences ou aider à la planification. À terme il pourra jouer un rôle dans tous les processus de l’hôpital.

Pourquoi faire le choix de garder les données et les modèles à l’intérieur des murs ?

Pour la souveraineté, pour la protection des données des personnes mais aussi pour développer nos propres outils de fiabilisation. Le modèle d’IA et les bases de connaissances qui viennent l’enrichir (avec nos procédures, référentiels et trames) sont hébergés en interne. Nous avons fait le pari de faire tourner nos modèles sur des technologies open source, investi dans les infrastructures, internalisé le calculateur, le tout en boucle fermée. Les données ne sortent pas de l’hôpital, elles sont très sécurisées, hébergées au sein d’un entrepôt certifié. L’objectif est de pouvoir évaluer ce que nous faisons, d’être sûrs et traçables.

Quels usages donnent déjà des résultats tangibles ?

Plusieurs exemples répondent à des enjeux très concrets. Aux urgences pédiatriques, les notes saisies par l’urgentiste sont directement transformées à la sortie en compte rendu médical. Les versions directement destinées aux familles rendent les explications compréhensibles et personnalisées, les résumés pour les correspondants gagnent en clarté. En consultation, nous avons étudié la place de la reconnaissance vocale qui transcrit et structure automatiquement les échanges, cela libère le regard et la relation. Autre illustration, côté administratif : nous avons catégorisé les commentaires laissés par les patients après leurs séjours à l’hôpital. Avec 350 000 séjours hospitaliers par an à l’hôpital, ce travail aurait été fastidieux pour les équipes.

Avez-vous mesuré l’acceptabilité de cet outil par les patients et par les professionnels de santé ?

Nos cas de tests sont encore limités auprès des patients, mais les retours de l’usage, par exemple de l’expérimentation aux Urgences pédiatriques ou en pédopsychiatrie, ont été positifs. Concernant les personnels de l’hôpital, il convient de se poser les bonnes questions : quelles sont les tâches utiles et comment doivent évoluer les métiers ? Comment redonner du sens au travail à l’hôpital ? Il faut dès lors distinguer les métiers du soin des fonctions supports. Pour les soignants, c’est une évolution dans les pratiques. Les IA pourront diminuer la charge de travail liées à la saisie de l’information, apporter une aide au diagnostic - il sera plus rapide, plus anticipé - mais c’est l’avis du médecin qui prévaudra en cas de discordance. In fine, la prise en charge des patients sera améliorée. Côté fonctions support, il faut avancer prudemment. Nous évaluons avec les personnels les effets des automatisations sur leur travail ; les outils innovants ont pour but d’apporter de la valeur ajoutée, et non d’être source de déclassement. C’est pour cela que l’on travaille en co-construction.

Aujourd’hui, quelles sont les perspectives ?

C’est une évolution systémique du fonctionnement de l’hôpital qui est en jeu, dont la communauté médicale n’est pas encore pleinement consciente. Les progrès des IA sont très enthousiasmants pour envisager une véritable plus-value de la médecine du futur, avec des outils admis, compris et dont l’usage est maitrisé.

Propos recueillis par Valérie Ravinet

Journaliste

Journaliste et autrice, Valérie explore les grands sujets de société à la croisée des sciences, de l’économie et du vivant. Numérique, intelligence…

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