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Questions - réponses pour comprendre l’actualité de la technologie, de l’intelligence artificielle et de l’innovation
Fondateur et président du cabinet Civitéo, cofondateur de l’Observatoire Data Publica, Jacques Priol suit de près l’arrivée de l’intelligence artificielle dans le monde territorial. Contrairement aux idées reçues, les collectivités locales expérimentent largement ces outils. Entre formation des agents, transformation du management et impacts sur les citoyens, il décrypte les enjeux d’une révolution en cours.
Vous affirmez que les collectivités ne sont pas en retard sur l’IA. Pourquoi ?
Je tiens à casser un cliché : en matière d’intelligence artificielle, le service public n’est pas en retard, il est même en avance sur certains secteurs économiques. D’après le baromètre que nous publions chaque année, plus d’une collectivité sur deux a déjà commencé à tester des systèmes d’IA, quelle que soit sa taille. L’arrivée de l’IA dans les collectivités locales est massive et rapide.
Quels types d’usages observez-vous ?
On recense plusieurs centaines d’expérimentations en cours. Les collectivités locales gèrent des missions très variées, l’Observatoire Data Publica a identifié près de 250 systèmes d’IA dans des métiers différents. Cela va de la gestion de l’eau, de l’énergie, des espaces verts, des bâtiments publics ou des déplacements aux métiers administratifs comme l’instruction des permis de construire, l’action sociale, l’éducation ou la culture. La majorité des usages actuels concerne l’IA générative et sert d’abord les agents publics dans leurs tâches quotidiennes.
Ces expérimentations sont-elles concluantes ?
Comme dans le privé, les débuts sont complexes. 80 % des projets sont abandonnés ou réorientés après quelques semaines ou quelques mois. Mais c’est une phase d’apprentissage. Les agents, qu’ils soient dirigeants ou opérationnels, découvrent la manière d’intégrer l’IA dans leur métier. C’est un moment clé de montée en compétences.
La formation est donc un enjeu central ?
Absolument. Depuis février 2025, la réglementation européenne impose aux employeurs de former leurs salariés à l’IA. Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) a lancé un MOOC sur les fondamentaux de l’IA qui a rencontré un succès spectaculaire, avec plus de 30 000 participants certifiés en quelques semaines. Les collectivités prennent très au sérieux cet impératif de formation.
Quels impacts voyez-vous sur les métiers ?
Au départ, on croyait que l’IA servirait surtout à automatiser des tâches répétitives et à gagner en productivité sur les fonctions d’exécution. En réalité, l’impact est plus fort sur les fonctions d’encadrement, de créativité, de production de contenu. Les cadres sont parmi les premiers utilisateurs quotidiens de l’IA générative. Cela change la posture managériale : encadrer des équipes qui utilisent l’IA suppose de superviser ceux qui ont en charge la supervision humaine ; il faut notamment veiller à ce que les collaborateurs développent l’esprit critique.
Est-ce que cela concerne toutes les collectivités, même les plus petites ?
Oui, et c’est une nouveauté. Là où d’autres technologies se concentraient dans les grandes villes, l’IA arrive partout, y compris dans de petites communes rurales de 3 500 habitants ou moins, d’ailleurs tout comme dans les TPE du secteur privé.
Et pour les citoyens, quels usages concrets ?
Le citoyen ne voit pas encore directement les applications d’IA du service public, à l’exception de quelques chatbots nouvelle génération. Mais d’autres IA, plus « classiques », sont déjà très présentes. Des IA contribuent à la gestion intelligente de l’éclairage urbain, à l’arrosage des espaces verts, à l’optimisation du trafic, à la réduction de la pollution lumineuse… Dans le domaine social, l’IA fait aussi son entrée, permettant à la fois de prévenir le non-recours aux aides pour des personnes qui pourraient en bénéficier, mais aussi de détecter la fraude, deux usages légitimes mais qui posent évidemment des questions éthiques et politiques différentes.
Quels sont les grands défis à venir ?
Trois sujets dominent : l’impact sur les métiers, l’empreinte environnementale – les collectivités ont des obligations en matière de numérique responsable – et la souveraineté. Sur ce dernier point, les élus et les services cherchent des solutions réellement souveraines et accessibles financièrement. Un mouvement comme Tie Break -Trajectoire d’Indépendance Européenne en matière de numérique-essaie de mutualiser les moyens pour faire émerger ces alternatives.
Propos recueillis par Valérie Ravinet

Journaliste
Journaliste et autrice, Valérie explore les grands sujets de société à la croisée des sciences, de l’économie et du vivant. Numérique, intelligence…