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Article - Intelligence artificielle

Comment l’IA a redonné un projet professionnel à des salariés en insertion

Salariés en insertion retrouvant un projet professionnel grâce à l’intelligence artificielle

ITW tech & inno

Questions - réponses pour comprendre l’actualité de la technologie, de l’intelligence artificielle et de l’innovation


Lors de la conférence Applications Pratiques de l’Intelligence Artificielle (APIA), organisée à Dijon au début de l’été dernier, l’entreprise d’insertion par le numérique Digitanie a présenté une expérience unique : comment des salariés en insertion, éloignés de l’emploi, contribuent à fiabiliser des modèles d’IA pour des acteurs de premier plan. Rencontre avec Jehanne Portefaix, fondatrice de cette SCOP basée à Saverdun, en Ariège.

Vous étiez présente à Dijon pour la conférence Plate-Forme Intelligence Artificielle (PFIA) 2025. Que retenez-vous de cette expérience ?

C’était un moment très fort. La PFIA rassemble chercheurs, industriels et startups autour des avancées de l’IA. À l’APIA, la section dédiée aux applications concrètes, nous avons pu montrer qu’il existe une voie différente, qui consiste à mettre l’insertion au service de l’intelligence artificielle. Nous avons présenté comment des personnes éloignées de l’emploi contribuent directement à fiabiliser les modèles d’IA.

Concrètement, en quoi consiste ce travail d’insertion appliqué à l’IA ?

Au départ, nous avons noué dès 2019 un partenariat avec le Centre national d’études spatiales, le CNES, sur une idée simple mais puissante : pourquoi envoyer le traitement de données sensibles à l’étranger alors qu’en France, des équipes en insertion pouvaient les traiter avec fiabilité ? Nos salariés produisent des données annotées, classifiées, vérifiées. Nous avons mis en place un système qualité exigeant, avec contrôles croisés, indicateurs partagés et une méthodologie ajustée en permanence avec les clients. Résultat : la donnée est non seulement juste, mais aussi précise. Cela accélère l’apprentissage des modèles et renforce leur fiabilité.

Vous parlez de souveraineté de la donnée. Pourquoi est-ce si central ?

La donnée est une richesse stratégique. Pendant des années, beaucoup de modèles d’IA se sont construits à partir de données produites par des plateformes à l’autre bout du monde, via des travailleurs précaires. Avec Digitanie, nous montrons que ce travail peut être réalisé en France, en milieu rural, par des personnes en insertion. Cela crée un double impact : une donnée souveraine et de qualité pour les clients, et une perspective professionnelle pour les salariés.

Pouvez-vous donner un exemple d’application concrète de vos travaux ?

Oui, l’exemple de Mayotte est très parlant. Après l’ouragan CHIDO en 2024, le CNES a utilisé des modèles entraînés grâce à nos données afin de détecter rapidement les zones impactées. Cette opération s’est révélée efficace.  Depuis, nous avons rejoint un consortium retenu pour développer des jumeaux numériques. Le premier portera sur la forêt, mais demain ce sera aussi l’urbanisme, la mobilité, l’environnement.

Et pour les salariés en insertion, quel est l’impact ?

Il est considérable. Nous avons vu naitre des parcours magnifiques. Fanny, par exemple, était saisonnière. En découvrant la géomatique, elle s’est découvert une passion, a suivi une formation et est devenue technicienne. Elle dit avec fierté que ses enfants pourront désormais écrire « géomaticienne » comme profession de leur mère sur leurs formulaires scolaires. Autre exemple, celui de Jonathan, jeune papa trentenaire, qui, découvrant la géomatique et le potentiel du métier et après une période d’immersion dans un bureau d’étude en environnement, a finalement décidé de poursuivre en formation de technicien en géomatique, en alternance dans ce bureau d’études. Il est aujourd’hui en formation master chef de projet développement web et design. Ce sont des trajectoires qui montrent à quel point l’IA peut aussi être un levier d’émancipation.

Comment voyez-vous l’avenir de Digitanie et de votre démarche ?

Aujourd’hui, nous ne sommes plus seulement prestataires pour le CNES, mais reconnus par l’écosystème, intégrés à des consortiums avec des entreprises comme Magellium ou CS, et travaillons pour différents opérateurs. L’avenir, c’est de continuer à produire de la donnée qualitative, souveraine et locale, sans perdre notre mission première : faire de l’insertion. 
Nous ne voulons pas devenir des concurrents des grands groupes de l’IA, mais leurs alliés. Digitanie, c’est la preuve que l’innovation sociale et l’innovation technologique peuvent aller de pair.

Propos recueillis par Valérie Ravinet 

Journaliste

Journaliste et autrice, Valérie explore les grands sujets de société à la croisée des sciences, de l’économie et du vivant. Numérique, intelligence…

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