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Article - Intelligence artificielle

Être et apprendre : comment repenser nos compétences et nos savoir-faire ?

La soirée événement d’Eurécia Média propose d’explorer les défis et opportunités du monde professionnel

« En fait, on apprend pour survivre » lit-on dans une récente chronique publiée sur Eurécia Media. Et ça tombe bien, c’est la rentrée : le mode survie est activé à tous les niveaux !

Lors de la 3e édition de Vivement Lundi !, Eurécia Média a proposé d’échanger autour du thème de l’apprentissage et du développement des compétences, avec, comme catalyseur des inquiétudes et des attentes, l’usage de l’intelligence artificielle. En effet, 44 % des compétences des salariés devront être mises à jour d’ici à 2027 estimait le Forum économique mondial en 2023 et ChatGPT et ses cousins n’y sont pas pour rien.

Ce 15 septembre, Eurécia Média a donné la parole à des experts de l’IA et des ressources humaines. Objectif : comprendre comment l’IA impacte nos compétences (en positif comme en négatif !), et mieux appréhender les compétences valorisables dans un environnement « FANI » : fragile, anxieux, non linéaire et incompréhensible.

Et si la première des compétences était l’adaptation ?  

« Nous sommes entrés de plain-pied dans l’économie de la compétence » : pour Jeanne Rigaud, le contexte actuel, bouleversé par l’essor de l’intelligence artificielle, a fait basculer les entreprises dans un modèle économique où la création de valeur repose principalement sur le savoir-faire et les talents des individus, et plus uniquement sur le capital matériel ou les ressources naturelles.

La directrice du développement RH et des talents à l’IRT Saint Exupéry cite à ce titre les projections du Forum économique mondial : « près de 170 millions de nouveaux métiers pourraient émerger d’ici 2025, quand 92 millions disparaîtront ». Dans ce cadre, “l’entreprise ne peut plus se limiter à recruter des expertises techniques (hard skills) ou des qualités comportementales (soft skills). Elle doit aussi savoir valoriser les « mad skills », ces aptitudes atypiques acquises dans un cadre associatif, militant, ou entrepreneurial ».

« Aujourd’hui une compétence a une durée de vie de deux ans en moyenne » alerte-t-elle. Dans ce cadre, la capacité d’adaptation serait la première des compétences.  

Un constat partagé par Bérengère Moussard, responsable de la stratégie développement RH chez Latecoere : « La compétence, ce n’est pas seulement un savoir-faire technique, c’est aussi la capacité à évoluer, à se déconstruire, à s’adapter dans environnement toujours en mouvement. Dans le monde industriel, c’est un véritable challenge », insiste-t-elle. Elle plaide pour des processus RH plus agiles, capables d’ajuster en permanence les besoins en effectifs et en savoir-faire.  

« Les RH doivent se saisir de l’IA »

Toutes deux soulignent aussi l’urgence de professionnaliser l’évaluation des talents. Trop souvent, le recrutement et la gestion des carrières reposent encore sur le « bon sens » ou le « feeling » des managers. « Or, l’IA et la data offrent déjà des leviers concrets pour objectiver les choix, réduire les biais et gagner en pertinence. Les entretiens annuels, par exemple, génèrent une masse de données inexploitées. L’analyse assistée par l’IA pourrait permettre d’identifier les signaux faibles, les aspirations d’évolution ou les tensions émergentes au sein des équipes » indique Jeanne Rigaud.

Moderniser la formation des collaborateurs

Mais au-delà des outils, c’est un véritable changement culturel qui s’impose, notamment dans la formation des collaborateurs. « Dans un environnement où l’attention des salariés est fragmentée par le zapping, le multitâche et la sollicitation numérique, les dispositifs classiques — longues présentations, formations descendantes — ne suffisent plus » constate Bérengère Moussard.  Pour engager les collaborateurs, les deux intervenantes défendent des formats d’apprentissage plus dynamiques et interactifs : micro-learning, hackathons, mentoring, coaching, capsules digitales ou événements ludiques. Autant de moyens de transformer la montée en compétences en une expérience motivante, en phase avec les pratiques de notre quotidien et les difficultés d’attention et de concentration.

Dans l’Éducation nationale, une révolution à bas bruit

À Toulouse, l’intégration de l’intelligence artificielle dans l’Éducation nationale est devenue un chantier stratégique. Il est piloté par Landry Bourguignon, inspecteur pédagogique en sciences et techniques industrielles. En tant que correspondant académique des sciences et technologies, il conseille le recteur et coordonne un vaste travail collectif associant enseignants, entreprises et chercheurs en sciences de l’éducation. « Dans un contexte où l’IA est massivement utilisée par les élèves mais encore peu par les enseignants, l’enjeu est double » explique-t-il : « adapter les pratiques pédagogiques – notamment en matière d’évaluations – et former les futurs citoyens à un usage éclairé de ces outils, avec une attention particulière à la protection des données, à l’impact environnemental et au développement de l’esprit critique ».  

Valoriser le “le droit à l’erreur”

Alors qu’un cadre d’usage de l’IA a été publié en juin 2025, trois axes structurent la réflexion dans l’académie de Toulouse : accompagner les enseignants dans l’évolution de leurs gestes professionnels (comment créer un quizz grâce à l’IA par exemple), créer de nouveaux modules de formation dans les filières technologiques et professionnelles en partant des besoins de entreprises, et moderniser les services du rectorat (avec par exemple la production automatisée de podcasts pédagogiques). Au-delà des expérimentations techniques, Landry Bourguignon défend une évolution profonde des postures éducatives : passer d’un enseignement centré sur le professeur à une dynamique de projets, de résolution de problèmes et d’apprentissage entre pairs, « où le droit à l’erreur devient moteur d’engagement ». « Le prof sur son estrade et les élèves qui écoutent pendant trois heures, c’est fini ! »

« Avec l’IA, il faut choisir les compétences que l’on gagne et celles que l’on perd »

Expert en IA conversationnelle, Luc Trunzler explore depuis 10 ans le potentiel et les usages de l'IA dans les entreprises et dans l’éducation, et il trouve ça « génial ! ». L’expert expose deux faits importants dans l’usage que l’on fait des outils comme ChatGPT dans son travail (800 millions d’utilisateurs par mois, tout de même !). Premièrement : tous les outils inventés par les humains servent à gagner en confort, en temps, en efficacité. C’était le cas pour l’écriture, « 400 ans avec J-C, 10% des gens utilisaient l’écriture, les autres apprenaient par cœur », raconte-t-il. « Et à l’époque, certains, comme Socrate, s’y opposaient, avec les mêmes craintes que l’on oppose aujourd’hui à Chat GPT : on va perdre en mémoire et en interactivité ».  

C’est un fait : il faut trouver un équilibre entre les compétences que l’on gagne grâce à l’outil (gain de confort, gain de temps et même gain de qualité), versus les compétences que l’on perd en confiant notre travail à l’assistant IA (perte d’expertise, perte d’esprit critique, perte d’autonomie, perte de réflexion).

Quels outils pour mieux utiliser les assistants conversationnels ?  

Deuxièmement – et c’est la bonne nouvelle- : il existe des méthodes pour que la balance reste positive ! Ainsi, Luc Trunzler propose trois leviers pour utiliser au mieux les assistants conversationnels. Le premier est la « conscientisation » : « il faut savoir quelles compétences je suis prêt à sacrifier. Il faut choisir ses combats. Cela demande de la prise de recul sur l’outil, et sur soi-même. Si on demande à ChatGPT de rédiger tous nos mails en anglais, on sait qu’au fur et à mesure, on ne saura plus le faire soi-même. C’est un choix ». Deuxième levier, très concret : le prompt de l’auto-questionnement. « Avant de demander à ChatGPT de faire notre travail, on lui demande de nous poser des questions pour bien comprendre nos attentes et contraintes. Ainsi, cela fait marcher aussi notre cerveau, et les résultats sont plus satisfaisants. » Enfin, troisième levier : la curiosité ! « ChatGPT nous permet d’avoir très rapidement des réponses à nos questions, profitons-en pour lui poser plein de questions, cela nous permet d’alimenter des discussions, et des débats ! » s’enthousiasme le spécialiste.  

La conclusion des échanges pourrait se résumer à une formule de Jeanne Rigaud : « pour répondre aux enjeux business, il faut la bonne compétence, au bon moment, au bon endroit, et au bon coût. Pour cela l’enjeu de la formation est essentiel, et le droit à l’erreur fondamental, car la sécurité psychologique favorise l’apprentissage ». Berengère Moussard d’abonder : « il faut décentraliser le sujet des compétences, qui ne sont pas la prérogative unique des RH. Les manageurs ont leur rôle à jouer, ne serait-ce qu’en montrant l’exemple : plus on monte dans la hiérarchie, moins ils se forment ! Il faut lever ce frein à la culture de l’apprentissage. »

 

Article : Sophie Arutunian, édité par Séverine Martin 
Interviews et rédaction en chef : Emmanuelle Durand-Rodriguez 
Vidéos : Anthony Duhamel et Romain Lafontaine 
Photos : Lydie Lecarpentier 
Vivement lundi ! : Élodie Hernandez et Élise Crassat 
 

Pour aller plus loin : 

https://www.education.gouv.fr/publication-du-cadre-d-usage-de-l-intelligence-artificielle-en-education-450652 

https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/education-et-intelligence-artificielle-remise-de-deux-rapports-aux-ministres-elisabeth-borne-et-99578 

https://www.eurecia.com/blog/liste-competences-professionnelles/ 

 https://www.eurecia.com/blog/competences-cles/ 

https://www.weforum.org/publications/the-future-of-jobs-report-2025/ 
 
https://www.eurecia.com/blog/mad-skills/ 

 

 

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La soirée événement d’Eurécia Média propose d’explorer les défis et opportunités du monde professionnel. Parce que le futur du travail se construit à plusieurs, Vivement lundi ! vise à apprendre, analyser et inventer ensemble.