Tout a commencé par une conversation anodine devant le micro-ondes, à ce moment précis où, en file indienne, chacun regarde jalousement le tupperware de l’autre. Un collègue, cherchant peut-être à éviter une remarque sur les restes de tajine dans son assiette, s’exclamant un peu gêné : " On mange encore à la même heure ce midi ! Finalement je déjeune toujours avec les mêmes personnes ".
Et votre serviteur, dans un élan de folie douce, lançant : " Tu as raison, je vais d’ailleurs changer ça ! "...
C’est ainsi que je me suis retrouvé, une semaine durant, à partager chaque déjeuner avec une personne différente. Pas des gens rencontrés dans un parc ou au hasard d’une rue. Non. Des collègues. Certains que je connaissais à peine, d’autres que je croisais depuis des années mais sans jamais dépasser le stade du “ Salut, ça va ? ”.
Jour 1 : un sourire poli
Lundi suivant donc, 12h30, je pointe timidement le nez de ma gamelle à la cafèt’. Je repère Marianne, une collègue du juridique croisée à la machine à café mais avec qui je n’ai jamais échangé plus de quatre phrases. Je m’assois en face d’elle. Elle a ce regard surpris, plus interrogatif que flatté, celui qu’on a quand on est bousculé dans nos habitudes mais pas maître de la situation. Son " Oui, bien sûr, installe-toi " est libérateur.
Je ne lui cache rien de ma démarche, et les premières minutes ressemblent à un entretien d’embauche très détendu : météo, transports, repas (trop sec pour elle), puis un " Et toi, tu bosses sur quoi en ce moment ? ". On est encore dans le protocole, les zones neutres. Mais à mesure que chacun dévoile des facettes de son métier à l’autre, nous trouvons des points d’intérêt insoupçonnés. Le sourire poli a laissé place à un autre, plus sincère, au moment de se quitter.
Jour 2 : le collègue un peu bavard
Mardi, j’ai déjeuné avec Yann de l’équipe IT. Lui, je le connais de vue. En réalité, je n’ai pas parlé beaucoup ce jour-là. Il a tout raconté : sa passion pour le Real Madrid, ses trois déménagements, et même la recette secrète de son chili. Je ne pense pas qu’il connaisse mon prénom, mais moi, je connais la vraie explication du nom de son chien (Bergamote, mais c’est une longue histoire).
J’ai hoché la tête pendant 45 minutes et c’était… reposant. Rien à prouver, juste écouter quelqu’un qui, manifestement, avait besoin d’un auditoire.
Jour 3 : bonjour / au revoir
J’ai pris mon courage à deux mains en ce milieu de semaine pour poser mes couverts en face d’Hélène. Elle a l’habitude de manger seule, mais m’accueille poliment à sa table. Elle ne raconte rien de son quotidien à la compta, et je reste tout aussi évasif après une matinée bien chargée. Peu de phrases échangées, et chacun finit sur son téléphone, sans pour autant qu’un malaise ne s’installe.
Un déjeuner silencieux, mais pas désagréable. Parfois, on n’a rien à se dire, et c’est très bien comme ça.
Jour 4 : l’agréable surprise
J’enchaine avec Malik du marketing. On se connait à travers des boucles de mails, mais finalement pas plus que ça. Très vite on parle boulot, projets, idées, puis ça glisse sur le sport, les voyages, et quelques rêves un peu fous. On se découvre des points communs absurdes : on a grandi à quelques kilomètres l’un de l’autre, on a eu la même prof de maths. On poursuit le dej’ autour d’un café et on se fixe un créneau pour mettre à plat une idée de projet à présenter à nos directions.
En deux ans, j’ai passé plus de temps à lire ses mails qu’à apprendre à le connaître. Mais ça, ça va changer !
Jour 5 : y a quelqu’un ?
Vendredi, dernier déjeuner, et j’ai du mal à trouver un regard intéressé dans la cafèt’ pour participer à mon expérience. C’est là que déboule Benjamin, aka “Big Ben” parce qu’il aime être toujours à l’heure. Je (re)découvre une personne douce, passionnée, plutôt drôle, bien loin de l’image rigide et distante que je m’étais faite, et que son surnom laisse penser.
Un dernier repas pour clore la semaine, au goût de leçon : combien d’images fausses fabriquons-nous en silence, juste parce qu’on ne s’assoit pas à la même table ?

Blogueur eurécien
Avec un regard affûté et une plume sans détour, Hadrien s’intéresse avant tout à l’expérience vécue en entreprise : les interactions entre collègues…