La société parle de « double journée ». Pourtant, de plus en plus de parents (surtout des mères) en vivent une troisième : celle du soir, l’écran rallumé, le cerveau fatigué. Un phénomène invisible, rarement mesuré, mais bien réel : et si on en parlait enfin ?
Coucher mes enfants, rouvrir mon ordinateur : pour moi, c’est devenu un signal d’alerte. Quand ça devient trop fréquent, j’ai une alarme interne qui s’active. Elle me dit que je travaille trop, ou que je m’organise mal (ou les deux). J’ai rarement pris du plaisir à m’y remettre le soir. Après 20 heures, mon cerveau est moins efficace, plus lent. Je suis parfois interrompue par des proches qui viennent aux nouvelles ou par un enfant qui a fait un cauchemar. Contrairement aux rares fois où je travaille très tôt le matin, je ne tire aucun bénéfice à reprendre l’ordinateur le soir. Excepté celui de ne pas être en retard sur mon travail.
La triple journée
Quand on parle de parentalité, on entend souvent l’expression « double journée » (le temps passé au travail et le temps passé à s’occuper des enfants). Personnellement, j’ai souvent la sensation de vivre des triples journées : la journée de travail, les enfants, le travail le soir.
Comme je suis indépendante, on pourrait penser que le fait d’avoir mes propres clients et de fixer mes propres horaires constitue une « autoroute » qui mène aux heures supplémentaires du soir. Mais j’observe ce phénomène également chez des amis salariés et parents. Je me souviens notamment d’une de mes amies qui venait de prendre un nouveau poste. Au téléphone, elle m’annonce que son objectif est de rouvrir son ordinateur après avoir couché sa fille « seulement deux soirs par semaine ». Dès le début, elle a donc compris que les heures prévues dans son contrat de travail ne seraient pas suffisantes pour aller au bout de ses missions.
J’ai cherché des études sur le sujet. Il y en a peu. Y aurait-il un angle mort ? Préfère-t-on fermer les yeux ? J’ai bien croisé quelques indices, comme cette étude de 2022 qui montre qu’un actif sur cinq travaille sur son temps libre plusieurs fois par mois. Ou celle-ci qui montre que les cadres sont préoccupés par le travail hors des heures de bureau. En nous apprenant au passage que les mères de famille seraient les plus concernées par ce phénomène.
Le prix à payer ?
Je ne suis pas Sherlock Holmes, mais je la sentais venir, celle-ci. « Les mères de famille seraient les plus concernées par ce phénomène ». Mon enquête avance. On sait que les mères s’occupent davantage des enfants que les pères : selon la DREES, les mères consacrent 107 minutes par jour aux enfants, contre 40 minutes pour les pères. Travailler le soir serait-il le prix à payer pour gagner correctement sa vie ? Ma mère nous a élevés seule, mon frère et moi, mais n’a jamais travaillé le soir. Sa carrière non plus n’a jamais vraiment évolué.
De mon côté, si je devais arrêter d’ouvrir mon ordinateur après 20 heures, il faudrait que j’arrête un ou deux contrats en cours. Par conséquent, je gagnerais moins d’argent. Je n’aurais pas besoin de me poser cette question si je travaillais jusqu’à 19 heures tous les soirs. Mais je croiserais mes enfants seulement avant qu’ils aillent se coucher. J’ai une amie avocate qui fait ça, d’ailleurs. Avec son mari, ils payent chaque soir une baby-sitter pour s’occuper de leur fille après sa journée chez la nounou. Elle me parle souvent de la culpabilité qu’elle ressent. Mais moi aussi, je culpabilise. Car arrêter de travailler de 17h30 à 20h en sachant pertinemment que je vais rouvrir mon ordinateur après implique parfois de ne pas avoir l’esprit à 100 % avec mes enfants.
L’enquête est donc loin d’être clôturée, pourtant un semblant de verdict semble s’imposer : on a un problème. Un problème élémentaire, mon cher Watson.

Rédactrice
Sophie pensait qu’avoir un enfant ne changerait pas grand-chose. Quatre ans, deux grossesses et quelques kilos de charge mentale plus tard, elle sait…