Melting work
Les inspirations et les modèles dénichés partout dans le monde
En France, la retraite, c’est souvent l'équivalent du générique de fin. Une vie de travail bien remplie, un pot de départ, quelques petits fours, un bout de discours, puis rideau. Place au repos bien mérité… À condition de ne pas trop coûter. Au Danemark, on ne s’empresse pas d’éteindre la lumière. On la règle différemment. La retraite ne sonne pas la fin d’une vie active. Les seniors peuvent continuer à travailler, transmettre, s’engager, cohabiter avec des étudiants ou conseiller une start-up. Car la société danoise a décidé collectivement que les seniors avaient de la ressource.
Un système de retraites bien huilé, mais pas figé
Ce qui caractérise le modèle danois de retraite, c’est l’esprit du collectif. Les retraites et les transitions sont l’affaire de tous. Pas une variable d’ajustement budgétaire. Concrètement, ce système hybride articule trois piliers :
- D’abord, une pension universelle financée par l’impôt. Elle garantit à toute personne ayant vécu au moins quarante ans au Danemark une pension de base (environ 845 euros mensuels), ajustée selon les revenus.
- Ensuite, une pension professionnelle obligatoire (ATP), par capitalisation, alimentée à parts égales par l’employeur, le salarié et l’État.
- À cela s’ajoutent des régimes complémentaires négociés par branche, très répandus, et une épargne retraite individuelle, encouragée fiscalement.
Cette politique se traduit par un taux de remplacement parmi les plus élevés d’Europe, soit 84 %. Et une forme de sécurité qui offre un vrai choix aux retraités : continuer à s’impliquer, changer de rythme, ou se retirer, sans subir. Mais comment garantir la soutenabilité de ce modèle ? En indexant l’âge légal de départ sur l’espérance de vie. Chaque génération sait qu’elle partira un peu plus tard. Aujourd’hui fixé à 67 ans, l’âge de départ atteindra 70 ans en 2040.
Repenser la place des seniors dans la société
Au Danemark, la retraite ne signifie pas le retrait. Les entreprises, les collectivités et associations œuvrent pour maintenir les seniors dans la vie active. Les entreprises jouent le jeu. Par exemple, Novo Nordisk, géant pharmaceutique danois, encourage les seniors à rester dans leur emploi, en aménageant les postes, en allégeant les horaires ou encore en instaurant le mentorat entre générations. Les collectivités innovent également. À Odense, le programme Senior Talent Pool invite les retraités à siéger dans des conseils municipaux, à accompagner des start-ups ou intervenir dans les écoles. À Aarhus, des logements intergénérationnels permettent aux étudiants et aux seniors de cohabiter, avec un soutien financier de la municipalité. La société civile n’est pas en reste. L’organisation DaneAge Association (Ældre Sagen), qui compte plus de 900 000 membres, propose un accompagnement social aux personnes âgées isolées, des conseils personnalisés sur la retraite ou la fiscalité, et valorise l’engagement bénévole des seniors. Enfin, le Danemark mise aussi sur la silver economy. Des startups développent des solutions technologiques pour favoriser l’autonomie des personnes âgées, comme la domotique, la télémédecine, ou encore des plateformes d’échange intergénérationnel. C’est aussi une façon de faire du vieillissement un levier d’innovation sociale. Bref, les retraites au Danemark, c’est un vrai projet de société. Et cela se voit dans les chiffres.
Résultats visibles… et lignes de fracture
Le Danemark affiche aujourd’hui des indicateurs enviables. Le taux d’activité des 65-69 ans y atteint environ 18 % contre 6 % en France, et l’espérance de vie en bonne santé dépasse la moyenne européenne. La prévention, la médecine de proximité, l’accompagnement à domicile : tout est pensé pour que les années gagnées soient aussi des années utiles. Le vieillissement devient ainsi un champ d’expérimentation sociale. Des ateliers de codage ou de jardinage entre générations, des plateformes de bénévolat en ligne… Le quotidien des seniors se réinvente, loin de la solitude ou de la mise à l’écart. Mais, malgré cette réussite, tout n’est pas parfait et certaines inégalités persistent. Les femmes, souvent marquées par des carrières incomplètes, touchent des pensions plus faibles. Les personnes immigrées peinent à accéder à la pension universelle à taux plein, faute de durée de résidence suffisante. L’indexation de l’âge de départ, la clé de voûte du système, ne fait pas non plus consensus. Chez les travailleurs manuels ou aux parcours longs, elle suscite des débats sur l’équité et la pénibilité.
Et en France ?
Le débat sur les retraites reste focalisé sur l’âge. 62, 64 ou 67 ans… Et si poser la question du seuil, sans traiter la question du sens, passait à côté de l’essentiel ? Le système danois n’est pas une solution miracle. Mais il nous invite à changer de regard : celle d’une société qui considère le vieillissement non comme un problème à régler, mais comme un avenir à organiser. Et si, plutôt que de gérer la fin de carrière, on repensait collectivement ce que cela signifie, vieillir ensemble ?

Rédactrice
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