Retour

  5 mins

 

Article - En immersion

J’ai testé pour vous : échanger mon poste avec ma responsable

Deux professionnels échangent un regard complice lors d’une réunion en bureau industriel

J'ai testé pour vous

Une semaine pour expérimenter une habitude ou un mode de travail

« Vas-y, prends ma place puisque c’est si facile ! »

Bon, ce n’est pas parti d’une phrase de ce type lâchée en pleine réunion, mais ça aurait pu. Franchement, qui n’a jamais pensé pouvoir faire mieux que son collègue ? Au choix : elle n’avance pas assez vite, il ne prend pas de décision, il est payé à ne rien faire, elle fait semblant de travailler… Ne me dites pas que vous n’avez jamais prononcé et partagé l’une de ces phrases avec un collègue.  Moi oui, plusieurs fois même. Et souvent à la suite de petites frustrations qui tronquent notre perception et notre regard.

J’ai décidé de franchir un mur invisible, et de tenter une semaine d’inversion des rôles avec ma manageuse. Elle dans mes baskets, moi dans son fauteuil. On va voir si c’est si facile...

Jour 1 : l’herbe est-elle plus verte ailleurs ?

Lundi matin, on officialise la bascule : on échange nos agendas, nos sujets, nos missions de la semaine. Son planning est trois fois plus rempli que le mien, mais mon tableau de tâches est trois fois moins lisible. À chacun son enfer ! Dès les premières heures, je découvre qu’être la ou le chef, ce n’est pas juste "donner des ordres". C’est aussi enchaîner les réunions, recoller les morceaux entre les équipes, arbitrer sans froisser, gérer les urgences invisibles… Bref, c’est être interrompu tout le temps, pour tout et (souvent) pour rien. J’ai un peu de mal à garder mon calme. De son côté, ma cheffe réalise que mes journées ne sont pas aussi simples à appréhender que ce qu’elle imaginait. 

Après s’être fait relancer trois fois pour un livrable, elle me demande à midi :

-  Tu as toujours autant de demandes floues ?

-  Bienvenue dans mon quotidien !

Le point d’étape à la pause déj’ nous révèle que chacun a eu beaucoup de mal à faire avancer les sujets de l’autre… Le test nous apparait irréaliste à maintenir à plein temps : je décide (car oui, c’est quand même moi le boss dans ce contexte) d’ajuster à la demi-journée.

Jours 2-3 : le fauteuil à bascule

Je sens déjà le regard des autres changer simplement parce que je m’assois sur le bureau dédié à la responsable du service. J’ouvre la boîte mails : 117 messages non-lus. Cent. Dix-sept. Je comprends mieux pourquoi ses réponses sont souvent laconiques, ou limitées à un émoticône. Je passe ma matinée à essayer d’arbitrer, transférer, challenger. Trois décisions importantes à prendre, une mini-crise à désamorcer, et un point avec la grande direction qui souhaite connaitre les résultats d’un projet. Je suis rincé.

De son côté, ma manageuse découvre que mes journées sont moins faites de décisions que de jonglage. Écrire, proposer des pistes, relire, demander des infos, ajuster le process, mettre à jour le doc de suivi, faire des relances : en boucle, sur des dizaines de projets. Elle finit par m’envoyer un message : "J’ai bossé toute la journée mais j’ai l’impression que rien n’a avancé !".

Jours 4-5 : oui, non. Pourquoi ? Je ne sais pas, c’est comme ça !

Je me surprends à faire quelque chose d’inhabituel, dire "non". Pas le choix, je comprends qu’il faut protéger son temps et savoir trancher, parfois à l’instinct, sans explication, même quand on m’en demande une. Je décale un projet mal cadré, j’interromps une réunion inutile, je dis oui, puis je dis non. Cette apparente sensation de pouvoir est vite remplacée par un sentiment de solitude. Ce que je gagne en autonomie, je sens que je le perds en complicité avec mes collaborateurs.

Pendant ce temps, ma manageuse rame sur un outil que je maîtrise par cœur. Après avoir finalisé une série de tâches, elle m’appelle : 
— Tu as mis ça où, le tableau de suivi ? Impossible de m’y retrouver. 
— Ah, c’est dans le drive, mais il faut passer par le lien dans le canal Teams, épinglé dans le fil du 9 mars. La discussion avec l’équipe marketing. 
— … non mais ce n’est pas possible de bosser comme ça Hadrien !  (Bon là, j’admets, la manageuse reprend le dessus...)

- Je n’ai pas le choix, je t’avais déjà remonté le point…. Aucun manager ne veut changer ce process, c’est une galère à chaque fois.

Nous partageons un rire nerveux en réalisant que le quotidien de l’autre est surmonté d’autant d’embuches que le sien.

Vendredi, on termine l’expérience plus tôt que prévu, autour d’un café. Forcément, aucun n’a pu terminer les missions de l’autre. Je suis épuisé par son agenda, et j’ai la sensation que la plupart de mes interactions sont des combats solitaires, que j’ai des comptes à rendre à tout le monde. Elle est sonnée par la variété et la complexité de mes tâches, énervée par la lourdeur de certains dysfonctionnements entre les équipes.

Bilan du test

Cette expérience aura surement été la plus enrichissante de la série. On change vite de regard quand on découvre le métier de manager. Exactement comme avec de nouvelles lunettes : on voit flou au début, et puis tout s’éclaire différemment. Maintenant, je vois beaucoup mieux ce que ça implique… et elle comprend mieux ce que je vis au quotidien.

À celles et ceux qui veulent tenter l’aventure, je recommande vivement :

  • Faites une bascule symbolique, pas réelle et prolongée. Une seule journée dans les chaussures de l’autre peut déjà permettre de mieux se comprendre.
  • Préparez-vous à changer de regard, votre fibre empathique va forcément vibrer !  
  • Organisez un debrief ouvert, car la vision de l’autre, même si elle est différente, pourra vous aider à mieux aborder votre propre job.

On questionnera facilement la réussite de ce test et la pertinence du format, mais cela aura en tout cas permis de faire un pas vers l’autre, et d’ouvrir un nouveau dialogue sur les difficultés du quotidien. Pas de transformation, mais une meilleure compréhension.

J’ai testé pour vous. Et si on continuait à tester ensemble d’autres façons de travailler ? Quelque chose me dit que je ne suis pas seul à avoir envie d’expérimenter, concrètement ! Rendez-vous dans une prochaine chronique pour une nouvelle plongée au cœur du monde professionnel. Je partage avec vous mes expériences, mes émotions et mon analyse. 

 

Blogueur eurécien

Avec un regard affûté et une plume sans détour, Hadrien s’intéresse avant tout à l’expérience vécue en entreprise : les interactions entre collègues…

J'ai testé pour vous

Et si on continuait à tester ensemble d’autres façons de travailler ? Quelque chose me dit que je ne suis pas seul à avoir envie d’expérimenter, concrètement ! Rendez-vous dans une prochaine chronique pour une nouvelle plongée au cœur du monde professionnel. Je partage avec vous mes expériences, mes émotions et mon analyse. 

Notre actu dans votre inbox

Restez informés de toute l’actu
& inspirez-vous au quotidien