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Article - Générations

« Les jeunes et le travail : un faux procès »

Couverture du livre « Les jeunes et le travail : un faux procès »

Références

Un livre, une série, un film qui compte pour le débat des idées

Les critiques les visant saturent l’espace public au point de nourrir un climat de méfiance générationnelle. La génération des 18-30 ans est souvent présentée comme individualiste, paresseuse, réfractaire à l'autorité et désengagée au travail. Marion Desreumaux, Suzanne Gorge et Emmanuel Kahn ont mené une enquête pour l’Apec et Terra Nova. Sur la base d’un vaste panel, ils dénoncent un faux procès et ne constatent pas une rupture nette entre générations, mais une pluralité de profils, d’attentes et de contraintes, davantage liées à des réalités sociales qu’à l’âge. L'enquête montre aussi que le rapport des jeunes actifs au travail se caractérise par une forte hétérogénéité, liée aux positions sociales et aux emplois occupés.

Pourquoi ce livre est important ?

Parce qu’il propose une lecture nuancée qui éclaire la réalité sociale et professionnelle des jeunes - au sens des personnes âgées de 18 à 30 ans. Il montre que la grande majorité des jeunes actifs entretient un lien positif au travail.

Parce qu’il se base sur des données rigoureuses et une enquête représentative et non sur des impressions ou des généralités. « Plus de 5000 actifs ont été interrogés sur de nombreuses dimensions : importance accordée au travail et degré d’engagement, rapport au collectif à l’entreprise, attente envers le travail, soins pour son avenir professionnel, etc. » Ce qui fait la force de l’enquête, c’est donc son assise méthodologique : une enquête de terrain menée par Terra Nova, think tank de référence, et l’Apec, acteur majeur de l’emploi des cadres.

Les actifs interrogés ne sont pas seulement des jeunes. Il s’agit d’un double échantillon :  des actifs de 18 à 39 ans ainsi que des actifs de 30 à 65 ans, eux-mêmes subdivisés en deux catégories (30 à 44 ans et 45 à 65 ans). « En soumettant ces classes d’âge au même questionnement, cette enquête s’emploie à objectiver les similitudes et les différences entre les jeunes et leurs aînés », précisent les auteurs.

Le plus du livre 

Les auteurs s’attachent à montrer qu’il est inexact de parler de la jeunesse comme d’une entité monolithique. Ils vont plus loin. Sur la base de leurs résultats d’enquête, ils proposent de distinguer six visages de la jeunesse au travail : les ambitieux (39 %), les satisfaits (14 %), les distanciés (6 %), les attentistes (11 %), les combatifs (20 %) et les découragés (10 %). Parmi les jeunes actifs, deux groupes majoritaires (53%) - ambitieux et satisfaits - ont une vision positive du travail, vécu comme passion ou réalisation. Les premiers visent plus de responsabilités, les seconds non. « Rassemblant près de deux jeunes actifs sur 10 les deux groupes suivants, expriment un rapport plus distant à leur travail actuel, les uns souhaitant sortir de leur routine (les attentistes), les autres semblants s’accommoder (les distanciés). Enfin, rassemblant trois jeunes actifs sur dix, les deux derniers groupes, expriment un rapport plus conflictuel à leur travail, les uns se projetant dans un avenir meilleur (les combatifs), les autres semblant en avoir fait le deuil (les découragés).

Les passages à retenir  

• « Notre enquête démontre que, contrairement aux discours ambiants, les jeunes ne témoignent pas d’une distanciation plus marquée que leurs aînés à l’égard de leur travail. Près d’un jeune en emploi sur deux estime que son travail est aussi important (36 %), voire plus important (11 %), que les autres sphères de son existence : familiale, personnelle, sociale, etc.. Il s’agit d’une proportion identique à celle observée chez les 30-44 ans, et même supérieure à celle relevé parmi les 45-65 ans. »

• « En réalité, le travail conserve une place structurante dans la vie d’une grande majorité d’actifs français. À tel point que nombreux d’entre eux - y compris les plus jeunes– continueraient à travailler, même s’ils n’en avaient pas besoin financièrement. »

• « Le niveau de confiance vis-à-vis des différentes parties prenantes de l’entreprise dépend bien moins des profils des actifs (notamment de leur âge ou même de leur catégorie socioprofessionnelle) que des caractéristiques des entreprises et des organisations qui les emploient. »

• « La plus forte complexité des chaînes hiérarchiques, les disciplines de reporting et la plus grande sophistication de la division du travail dans les grandes organisations s’accompagnent de niveaux de confiance moindres. Les jeunes salariés y font non seulement beaucoup moins confiance à la direction de leur entreprise/organisation, mais aussi en comprennent moins la stratégie et se sentent moins en phase avec sa culture et avec ses modes de travail ou son organisation. Des constats qui s’appliquent également aux salariés plus âgés. »

• « Les données de l’enquête donnent à voir des actifs, jeunes comme moins jeunes, pour qui l’exercice de l’autorité ne peut plus être de nature simplement statutaire. »

• « Comme les actifs plus âgés, les jeunes voient globalement le télétravail d’un bon œil : 72 % des actifs de moins de 30 ans qui peuvent télétravailler souhaitent le faire régulièrement vs 80 % chez les 30-44 ans et 75 % chez les 45-65 ans. En revanche, ils sont plus nombreux que leurs aînés à considérer que le télétravail peut leur être préjudiciable et ralentir leur évolution professionnelle. »

Pourquoi ce titre ?

« Un faux procès » souligne le jugement erroné dont sont victimes les jeunes concernant leur rapport au travail. Ce procès est faux parce qu’il ne correspond pas à la réalité, estiment les auteurs qui apportent les preuves pour le démontrer. Le livre, résultat d’une enquête menée par l’Apec et par Terra Nova, démêle le vrai du faux et déconstruit les stéréotypes issus de discours médiatiques, d'enquêtes superficielles et de jugements d’adultes (de vieux ?). Les auteurs révèlent la complexité et la diversité des aspirations réelles des jeunes actifs. 

Qui sont les auteurs ?

Marion Desreumaux est cheffe de projets études Apec, Suzanne Gorge est directrice générale adjointe chez Terra Nova et Emmanuel Kahn est responsable du pôle études Apec, l'Association pour l'emploi des cadres, qui a pour mission d'accompagner les cadres et jeunes diplômés dans leur évolution de carrière.  

Verdict : c’est oui ou bien c’est non ?

C’est oui et c’est une lecture importante pour quiconque s’intéresse à l’évolution du monde du travail, aux jeunes actifs et aux politiques d’emploi. Il fait l’effet d’une bouffée d’oxygène face à la profusion de clichés. Il donne aussi des clés de lecture pour valoriser l’engagement des jeunes dans la sphère professionnelle et repenser la gestion des talents et les relations intergénérationnelles au travail.

Moralité : méfions-nous des sociologues de comptoir qui sont toujours prompts à descendre en flamme leurs prochains.  

Ne nous quittons pas sans citer l’épigraphe choisi par les trois auteurs. C’est une phrase de Louis Aragon : « On voudrait bien nous faire prendre la jeunesse pour le diable. C’est rassurant pour ceux que leur miroir attristent »

 

Fiche d’identité

Éditeur : Les Petits Matins

Auteurs – autrices : Marion Desreumaux, Suzanne Gorge, Emmanuel Kahn

Genre : essai 
Date de publication : 2025 
Nombre de pages : 109 

Journaliste et rédactrice en chef

Journaliste, rédactrice en chef et podcasteuse, Emmanuelle exerce des fonctions multiples, toutes guidées par un objectif commun : comprendre,…

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