Melting work
Les inspirations et les modèles dénichés partout dans le monde
Chez Pixar, on chérit particulièrement les bébés moches. Avant de vous indigner, une précision s’impose : dans cette chronique, personne n’insultera votre progéniture ou vos neveux et nièces. Personne ne ruinera non plus l’image féerique de Pixar. Non. Au studio à la lampe sauteuse, une idée ratée ou une version zéro franchement gênante porte un surnom affectueux : un « bébé moche ». Et tenez-vous bien : là-bas, on les adore.
Car ces bébés moches sont la matière brute des chefs-d’œuvre. Détonnant dans un monde corporate où l’on cache honteusement les échecs. Mais chez Pixar, on les garde précieusement et on les analyse. Mieux encore : on les considère comme une étape tout à fait naturelle du processus créatif. Et si cette philosophie était une vraie révolution managériale ?
Échouer, c’est prévu au programme
Chez Pixar, l’échec n’est pas une anomalie, mais un passage obligé. Chaque film passe par une phase qu’on appelle en interne le meltdown. C’est le moment où tout s’effondre : le scénario est bancal, les personnages sonnent creux et l’histoire ne tient plus du tout la route.
Mais plutôt que de paniquer et blâmer à tour de rôle, l’équipe se rassemble. On rembobine, on retravaille, on re-raconte, encore et encore… Comme le résume bien le cofondateur du studio, Ed Catmull : “Early on, all our movies suck”… Traduction : “Au début, tous nos films sont nuls”. Pas très corporate comme aveu.
C’est bien tout l’objectif du process propre à Pixar, le braintrust : un feedback sans filtres que tous les créateurs s’autorisent pendant les réunions régulières sur les projets en cours. Durant le braintrust, chacun peut critiquer librement, mais à une condition : ne jamais juger personne. La sauce secrète, c’est l’empathie. L’objectif est de nourrir les idées, même les plus fragiles, et de permettre à chacun d’oser présenter des « bébés moches ». Bref : chez Pixar, on échoue souvent. Mais on échoue vite. Et collectivement. Et c’est pour cela qu’on finit par réussir.
Douter, c’est jouer collectif
Disons-le franchement : dans le monde corporate, montrer qu’on doute et qu’on n’a pas la réponse à tout, c’est prendre une pente savonneuse. Mais pas chez Pixar, Pete Docter, réalisateur de Vice-Versa et de Là-haut raconte qu’il a passé des mois à se demander si son scénario tenait la route. Qu’il n’était pas sûr de son ton. Ni de son message. Ni même de son envie de continuer. Et pourtant, c’est ce doute assumé qui a nourri l’un des films les plus puissants jamais produits par le studio. Parce que le doute, ici, n’est pas un bug du système. C’est LE système.
Mais rien de tout cela ne fonctionnerait sans un ingrédient clé : la sécurité psychologique des équipes. Chez Pixar, on peut dire « je ne suis pas sûr », « je crois que je me suis planté », ou « je ne comprends pas » sans risquer le placard ou l’étiquette « pas fiable ». La vulnérabilité devient une ressource collective, un espace d’exploration et un sas de créativité. Et au fond, une belle leçon : ce ne sont pas les idées parfaites qui font les grandes œuvres. Ce sont celles qu’on ose partager… même quand elles sont encore bancales.
Briller sans jamais trembler
Au pays de l’élégance à la française, on vénère le raffinement et la beauté. Et certainement pas les bébés moches. On préfère les présentations léchées, les PowerPoints millimétrés, les idées brillantes qui sortent toutes armées du front de Zeus. Alors, on balaie l’échec sous le tapis, on sucre le feedback et on réserve la vulnérabilité pour les journées d'équipe.
Dans beaucoup d’entreprises, le Graal, c’est de prouver qu’on est compétent… sans pouvoir expérimenter (et se planter). Beaucoup d’idées restent coincées dans la tête des employés et meurent lentement, étouffées par les réunions de validation, les process en cascade et la peur du regard des autres. Et pendant ce temps, l’innovation patine.
La méthode Pixar, c’est un peu le poil à gratter des cultures managériales classiques. Elle émerveille certains, mais crispe ceux qui tiennent le stylo en haut de l’organigramme. Parce qu’elle bouscule un système où l’on valorise la maîtrise, la façade et la solitude silencieuse des décideurs infaillibles. On laisse peu de place à l’erreur. Encore moins à la vulnérabilité. Quant à demander de l’aide ? C’est encore trop souvent vu comme un aveu d’incompétence. Et si, au lieu d’attendre l’idée parfaite, on apprenait à chouchouter les bébés moches ? Parce qu’au fond, le vrai gâchis, ce n’est pas de rater. C’est de n’avoir jamais essayé.

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