Références
Un livre, une série, un film qui compte pour le débat des idées
« À la ligne – Feuillets d’usine » est un témoignage littéraire singulier qui éclaire l’expérience du travail à la chaîne. Joseph Ponthus y raconte son quotidien d’ouvrier intérimaire dans les usines agroalimentaires de Bretagne. Son écriture, à la fois factuelle et poétique, propose une immersion poignante dans un univers professionnel rarement raconté.
Pourquoi ce livre est important
"À la ligne" est un livre important car il permet de comprendre les réalités du travail à la chaîne, un sujet rarement exploré. C’est le récit de la vie quotidienne d’un trentenaire employé en intérim dans des usines agroalimentaires. Le narrateur nous emmène avec lui dans une conserverie de poissons, où il passe de la ligne des crevettes et poissons frais, à celle des poissons panés, puis à l’égouttage du tofu utilisé dans des plats cuisinés. Il est ensuite embauché dans un abattoir d’animaux.
Mais il ne faut pas se limiter à ce pitch factuel car le livre est bien plus que cela : c’est autant un témoignage poignant qu’une performance littéraire mêlant poésie et réalisme social. La juxtaposition des images très concrètes (les palettes de 500 kilos de bulots surgelés, les co-déchets, le nettoyage des ateliers de découpe de viande, « le sang, le sang, le sang »), des références littéraires (Apollinaire -beaucoup-, Claudel, Hugo) et des citations de poèmes ou de chanson créent un contraste inattendu. Le livre dit beaucoup aussi de la désillusion de toute une génération de diplômés du supérieur qui, faute de trouver un emploi dans leur domaine, se trouvent dans une précarité professionnelle et financière permanente.
Les moments forts
• Les passages où Joseph Ponthus décrit avec précision les gestes répétitifs, le bruit incessant, les odeurs de poisson ou de viande et la fatigue du travail à la chaîne sont intenses.
• Les évocations de la douleur – au dos, aux mains, partout-, les collègues de travail - le gratteur de clopes, le jeune de 20 ans qui va bientôt se marier avec son copain-. et tous les moments où l’amour, la fraternité ou la poésie prennent le dessus.
• Les deux lettres de la fin du livre, l’une à sa mère, l’autre à « Mon épouse amour ».
• La toute dernière phrase de la toute dernière page : « Il y a qu’il n’y aura jamais / De / Point final / À la ligne »
Le plus du livre
Ce qui distingue "À la ligne", c’est sa forme narrative. Alors qu’en général le saut de ligne ou le retour à la ligne signale visuellement un nouveau paragraphe, il est ici utilisé systématiquement, créant des vers libres comme dans un poème. Pas de virgule, pas de point, cette absence de ponctuation crée une impression de présent perpétuel et la perception du temps qui s’étire sans fin comme les trois huit de la chaîne de production. Joseph Pontus a le talent pour évoquer des moments ou des situations en très peu de mots. La fluidité et la simplicité apparente du texte sont possibles grâce à une précision radicale dans le choix des mots.
Pourquoi ce titre ?
« À la ligne » évoque le retour à la ligne utilisé systématiquement par l’auteur. Le titre fait aussi référence au travail à la chaîne, la méthode d'organisation industrielle mise en place au début du 20è siècle dans l’usine américaine d’Henry Ford. Lui-même s’était inspiré des abattoirs de Chicago où les carcasses défilaient devant les ouvriers, permettant une production plus rapide et moins coûteuse. Enfin le titre fait écho à la toute dernière ligne de la dernière page du livre : « Il y a qu’il n’y aura jamais / De / Point final / À la ligne »
Qui est Joseph Ponthus ?
Combien d’œuvres marquantes aurait pu écrire Joseph Ponthus s’il n’était pas mort mort d’un cancer en 2021 à seulement 42 ans ? Baptiste Cornet alias Joseph Ponthus de son nom de plume avait publié « À la ligne » en 2019. Son dernier écrit a été publié l’année de son décès chez Calligrammes, dans le cadre d’un recueil collectif intitulé « Ne vivent haut que ceux qui rêvent – Avec Xavier Grall ». Son texte s’intitule : « À l’inconnue qui nous dévore ».
Rien ne prédestinait a priori Joseph Ponthus à travailler à la chaîne dans les usines agroalimentaires bretonnes. Il avait fait des études littéraires et avait ensuite travaillé comme éducateur près de Paris. Mais il s’était marié et avait déménagé à Lorient. Faute de trouver du travail, il s’était inscrit dans une agence d’intérim. Chaque soir, de retour de l’usine, il prenait des notes et consignait les sensations physiques de son travail, ses réflexions ou ses conversations avec ses collègues. Quand son livre finit par sortir, aux Éditions de la Table ronde, il en envoie un exemplaire à la direction de l’abattoir dans lequel il travaille encore. Sa mission n’est pas renouvelée.
Verdict : c'est oui, ou bien c'est non ?
C’est oui sans hésitation. Rares sont les livres qui racontent le quotidien du travail – qui plus est en usine - avec autant de détails, de justesse et d’humanité. Et de talent.
Petit point d’attention : si vous lisez ce livre et que vous découvrez la réalité de l’activité des usines de l’agroalimentaire, il se peut que vous n’ayez plus jamais envie de manger ni viande ni crevettes.
Fiche d’identité
Éditeur : Folio (initialement La Table ronde)
Genre : littérature
Date de publication : 2019
Nombre de pages : 277

Journaliste et rédactrice en chef
Journaliste, rédactrice en chef et podcasteuse, Emmanuelle exerce des fonctions multiples, toutes guidées par un objectif commun : comprendre,…
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